mercredi 30 septembre 2020

Contribution aux débats des Assises Internationales du Journalisme - Tours, octobre 2020

Chers confrères,

N'étant pas disponible pour me rendre aux Assises, je tenais à vous adresser ma contribution écrite aux débats.

Confraternellement,


Thierry Noël

Journaliste honoraire carte n° 38013

Formateur bénévole à La Chance. 

Journaliste à La Nouvelle République du Centre-Ouest 1991-2010



Informer au temps du COVID… Les médias ont-ils fait leur travail ? 

Informer suppose de transmettre des repères fiables, de confronter les points de vue, de fournir des données vérifiées. 

Or, l’on a souvent vu les plateaux télé submergés par les querelles d’experts. Jamais autant d’infectiologues, de virologues, de professeurs de médecine, sont apparus sur les écrans. Outre le « phénomène Raoult » et la polémique sur l’hydroxycholoroquine, certains sont devenus de véritables chroniqueurs assermentés pour leurs prestations. Combien d’euros ?

Quelle légitimité pour certains ?

A aucun moment les chaînes concernées (LCI, BFM, France Info, CNews) n’ont éclairé leurs auditeurs, lors de leurs présences en plateau, sur leurs éventuels conflits d’intérêts, leurs rémunérations par les laboratoires de ces « chers » experts qui en profitaient pour régler leurs comptes et entretenir les polémiques…

Trop souvent, la parole officielle est devenue omniprésente à l’instar des points presse quotidiens du Pr Salomon au printemps, les conférences de presse des premiers ministres et du ministre de la Santé. 

En région, PQR et PHR se contentent trop souvent de relayer sans aucun recul ni esprit critique les communiqués et points presse des préfets. Rares sont les éclairages sur les critères justifiant les mesures « liberticides » : à propos des taux d’incidence, alors que le site officiel de Santé Publique France publie quotidiennement des relevés départementaux, on voit fleurir des chiffres par ville ou par tranche d’âge. Des chiffres introuvables sur Santé Publique France ou les ARS, donc pas vérifiables par le public.

Sont-ils vérifiés par les journalistes ou se contentent-ils de les publier sans les vérifier, alimentant quotidiennement la psychose et la peur, au gré des fluctuations des données.

En matière d’éducation du public, les médias jouent rarement leur rôle : comment bien porter un masque ? Quels sont les symptômes ? Quelles différences avec la grippe ?… laissant les indigentes campagnes officielles occuper le terrain, et les chaînes Youtube…



Informer au temps du COVID… Mais avec quels moyens ?


La crise sanitaire a accéléré la rénovation du modèle économique des médias français. Plus que jamais l'écosystème de la presse est soumis à la règle "Schumpeterienne" de la destruction créatrice.

La redistribution des cartes ne s’est pas faite sans douleur : liquidation de La Marseillaise avec possible transformation en SCIC par Maritima, reprise du groupe Paris-Turf  et de France-Antilles par Xavier Niel, grève et restructuration chez BFM et RMC, arrêt de RMC Sport, Libération transformé en société à but non lucratif, reprise de Paris Normandie par le belge Rossel, suppression des cahiers départementaux du Parisien, fermetures d’agences à Nice-Matin, inquiétudes à L'Equipe, BeIN Sport, réduction des budgets à RTL, restructuration de titres chez Reworld (plan social à Grazia), discussions chez LVMH pour entrer au capital du groupe Perdriel, projet de suppressions d’une soixantaine de postes au Figaro...

Plus de 386 postes seront supprimés d'ici 2021 au groupe EBRA, 41 sur 157 à L'Humanité, 132 départs volontaires au groupe Sud-Ouest, près de 100 salariés de moins et une rotative à l'arrêt à La Nouvelle République du Centre-Ouest, disparition de L'Echo du Limousin et du Périgord liquidé fin 2019, lâché par ses actionnaires historiques, cession d’hebdos au groupe Centre France.

Ces dernières années, plusieurs titres avaient réussi à transformer leur modèle économique, du fait de l’érosion publicitaire et des ventes « papier », en développant les recettes de l’évènementiel.

La pandémie a mis à mal cette évolution avec l’annulation de nombreuses manifestations. Sont notamment concernés, le groupe Amaury (ASO - Amaury Sport Organisation) qui organise Paris Roubaix, Paris-Nice, le critérium du Dauphiné, Paris- Dakar, le Marathon de Paris, l'Open de France et le Tour de France.

Le groupe Le Télégramme, qui s’était diversifié (40 % de ses recettes) dans l’événementiel voit de grands événements sportifs et culturels annulés ou (Transat AG2R, Route du Rhum, Solitaire du Figaro, Francofolies, Printemps de Bourges-Crédit Mutuel).



Côté positif, l'indispensable progression du numérique : depuis le 24 mars, le Canard Enchaîné, est disponible en version numérique. Des solutions d’1Kubator sont déployées à L’Alsace et aux DNA. 

En matière d’indépendance, faut-il se réjouir des « aides » gouvernementales prévues dans le « plan de filière » (377 M€ sur 2 ans) négocié par l’Alliance ? Le SNJ, principal syndicat de journalistes, n’a-t-il pas dénoncé « la danse du ventre » des éditeurs reçus fin août par le Président de la République, et les ministres des Finances et de la Culture, et leur « casse sociale et éditoriale » ? 

Face à l’urgence pandémique, l’Etat a délié les cordons de la bourse avec 106 M€ inscrits dans la loi de finance rectificative votée le 30 juillet : chômage partiel des pigistes, renflouement de Presstalis,  transformé en France Messagerie avec 17 M€ de subvention supplémentaire, et un prêt de 35 M€ du Fonds de développement Economique et Social (FDES) qui s'ajoute aux deux précédents prêts pour 140 M€, le plan social de Presstalis devant coûter 47 M€, payés par les éditeurs... Des aides nouvelles ont été mises en place pour près de 27 M€ : 19 M€ aux diffuseurs spécialistes et indépendants, et 8 M€ aux éditeurs indépendants de titres d’information politique et générale. Quelque 50 M€ au Fonds stratégique pour le développement de la presse, 18 M€ par an pour la transformation des imprimeries.

Le 30 juin, l'Assemblée nationale votait un crédit d'impôt (60 M€ de coût pour les finances publiques) de 50 € maximum pour inciter à s'abonner à un titre de presse d'information politique et générale... 

Pour consolider les trésoreries exsangues et contrer les vertigineuses chutes des ventes et de publicité, les PGE (Prêts garantis par l'Etat) aideront à réduire des pertes abyssales (36 M€ au Parisien, et au Monde). 

https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Annonce-du-plan-de-soutien-a-la-filiere-presse



Informer au temps du COVID… Mais avec quels journalistes ?


Comment espérer des contenus de qualité avec des conditions dégradées ? 

Toujours plus de CDD, de piges souvent payées en violation de la loi Cressard sous le statut d’auto-entrepreneur…

Demain, que feront les journalistes devenus "plurimédias" ?

Des robots sont déjà dans les rédactions pour des tâches basiques. Une réalité déjà installée en Suède dans le groupe MittMedia, en Suisse chez Tamedia ou dans la presse américaine.

En France, l'AFP produit déjà des dépêches rédigées par des algorithmes. La vidéo automatisée commence à susciter l'intérêt des grands groupes. 

Prisma Media, Le Parisien, Le Figaro, LCI sont clients de la plate-forme Wibbitz et Radio France (France Culture, France Musique, RFI) fait appel à la start-up Wochit pour créer des petites vidéos en ligne sans intervention de journalistes.

LabSense (groupe Pratique) produit des contenus automatisés pour des filiales de TF1. Syllabs compte Ouest-France parmi ses actionnaires...

L'agence NewsGene, spécialisée dans le référencement, enrichit des articles pour susciter du "clic" et se retrouver en bonne place dans Google News. Ouest France, 20 Minutes, Le Figaro comptent parmi ses clients.


Quelles formations demain ? A l'heure où les enquêtes d'opinion confirment une "cote" de la profession toujours aussi basse, les écoles de journalisme et les éditeurs changent-elles leurs profils et leurs enseignements ? Le niveau (master) révèle de profondes lacunes en matière de culture générale et de maîtrise de la langue française, la "diversité sociale" reste marginale...

TOUTE L'ACTU DES GROUPES DE PRESSE ET D'AUDIOVISUEL

Une bonne connaissance de l’actualité des médias  est indispensable pour celles et ceux qui veulent devenir journalistes.   Le contexte de p...