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lundi 23 avril 2018

Centre France en croissance... La Gazette de la Haute Loire ferme !

"Le Groupe régional Centre France en croissance". Ce titre flatteur de Strategies.fr (édité par NewsCo Group, une filiale de SFR Presse) est un bel exemple de trompe l'oeil. Un quasi communiqué de presse qui cache une réalité beaucoup plus complexe. Explications.


Strategies.fr, avec l'AFP, met en exergue les "bons" résultats du groupe
auvergnat Centre France
(capture d'écran de Strategies.fr)
Cet article, publié  le 20 avril 2018, annonce que les résultats prévisionnels du groupe de presse écrite auvergnat ont progressé de 6,3 % en 2017 à 214 M€ avec, certes, un résultat net en "léger repli" à 3,2 M€ contre 3,4 en 2016.
Mais le groupe note "une amélioration de son résultat courant" à 11 M€ contre 8,2 M€ un an plus tôt.
En apparence, tout va bien Madame la Marquise !
Tout va très bien, comparativement à d'autres groupes endettés ou en restructuration lourde...
Les Auvergnats, c'est bien connu, savent compter !
Ces bons résultats seraient dus au "développement des différentes activités et de la maîtrise des coûts fixes ".
Développement du numérique, diversification dans des activités événementielles, la formation, l'édition...
La recette du bonheur avait été lancée en 2013, par Michel Habouzit, alors DG, porteur d'un plan ambitieux.

A l'époque, le dirigeant fixait un cap réaliste : convaincu du déclin inéluctable du journal papier, il appelait à la "transformation du groupe vers le numérique, la diversification et l'événementiel".
" Le seul numérique doit peser 10 % en 2016 " prévoyait-il.
" Si nous n'en sommes pas capables ce sera un échec. Cette première étape doit permettre d'atteindre très vite 15 puis 20 % du chiffre d'affaires."
Le 4 novembre 2013, Michel Habouzit présentait
son plan de développement stratégique
(capture d'écran La Montagne)
Cinq ans plus tard, le virage numérique est-il pris ?
En tout état de cause, la stratégie de Michel Habouzit a été confirmée en juin 2017, lorsqu'il a été nommé président de la SA La Montagne, succédant à Edith Caillard *(veuve de l'ancien PDG Jean-Pierre Caillard) qui devient présidente de la SAS holding Montagne Centre France.
Une nouvelle structure d'actionnariat assure l'indépendance du groupe où la holding est actionnaire à 46 %. Viennent ensuite, 42 % de parts non cessibles détenues par la Fondation Varenne (présidée par Daniel Pouzadoux, vice-président du groupe), et  les 12 % restants, provenant de la Société coopérative auxiliaire du Crédit Agricole du Centre.

Incontestablement, Centre France a su faire bouger ses lignes mais son modèle économique reste limité par de lourds handicaps structurels : la ruralité et une démographie en recul.

Dans le Limousin, 45 % des habitants sont des ruraux et la population de Limoges (134.577 habitants) continue de baisser malgré son dynamisme universitaire.
Les départements de Corrèze et de la Creuse ne dénombrent que 240.781 et 120.872 habitants.
En Auvergne aussi, les villes sont peu peuplées (Clermont-Ferrand, la ville de Michelin, ne compte que 141.398 habitants et 409.558 pour l'aire urbaine) (recensement 2015).
Montluçon n'a qu'une agglomération de 60.993 habitants, Vichy 60.877 habitants.
Les départements du Cantal (146.618 habitants), de l'Allier (343.062 habitants) et de la Haute-Loire (226.565 habitants) ont une population vieillissante et en décroissance. (source INSEE)
Des atouts existent néanmoins. Pour Clermont, le taux de chômage reste inférieur à la moyenne nationale et le taux d'emploi de l'Auvergne compte parmi les plus élevés de France.
Sur la zone de diffusion des quotidiens du groupe, seules, la métropole d'Orléans (280.000 habitants), les aires urbaines de Chartres (144.057 habitants) et de Bourges (140.407 habitants) dominent en dépit de taux de pénétration faibles et la "chance" de ne plus avoir de quotidiens concurrents.

Rachats et mutualisation de l'impression

La stratégie de la dernière décennie est arrivée au bout avec la prise de contrôle de la totalité des huit quotidiens de la zone géographique et de substantielles économies d'échelle par la mutualisation des moyens d'impression :
2007 : Centre France acquiert 35 % de La République du Centre à Orléans, 70 % en 2010.
2008 : acquisition de L'Yonne Républicaine.
2009 : entrée à hauteur de 16 % dans le capital de La Nouvelle République du Centre-Ouest (Tours, Blois, Poitiers, Châteauroux, Bourges, Niort). L'édition berrichonne, largement déficitaire, sera fermée en septembre 2009 pour ne pas faire d'ombre au Berry Républicain, racheté par Centre France au groupe Hersant en 1982.
Un lourd plan social entraînera la suppression de 181 postes dans le groupe, dont 125 à la NRCO (50 journalistes) ce qui permettra de rétablir l'équilibre de l'exploitation. Sous la pression de l'actionnaire auvergnat les comptes n'ont été redressés qu'en 2016.
Une augmentation de la prise de participation de Centre France verra-t-elle le jour...
Les convoitises s'attisent toujours autour de la famille Saint-Cricq, canal historique de l'entreprise (15 % du capital) et de l'association de défense des petits actionnaires (ADPANR) qui détient 25 % du capital.
2010 : rachat de L'écho républicain (Chartres, Dreux, Châteaudun, Nogent-le-Rotrou, Rambouillet) au groupe Amaury et fermeture de l'édition eurélienne de La République du Centre.
De 2010 à 2012, plusieurs petits hebdomadaires locaux seront rachetés par Centre France pour mieux ratisser le marché publicitaire : Le Régional de Cosne, Le Pays Roannais, La Liberté de Montbrison, Le Journal de Gien.
2011 : arrêt de la rotative du Populaire du Centre à Limoges, l'impression du quotidien en "tout couleur" n'étant possible qu'à Clermont.
2013 : rachat du groupe L'Eveil (4 hebdos) au groupe Sud Communication.
2014 : arrêt de la rotative de La République du Centre à Saran, le 22 juin 2014.
Le quotidien du Loiret est désormais imprimé à Auxerre, sur la rotative de L'Yonne Républicaine.

Création de magazines, agence publicitaire, lancement de la filiale Centre France Livres, les initiatives se multiplient de 2014 à 2016.
Des mesures radicales ont été prises pour couper les branches mortes comme la fermeture de la télé Clermont Première en 2011 (12 M€ de pertes de 2000 à 2009).

Diversification et virage numérique

Parallèlement, la diversification s'est développée : après l'organisation de salons par sa filiale Centre France Evénements (CA 2016 : 4,56
M€, + 17 % / 2015 mais seulement 59.100 € de résultat net), Centre France enclenche fin 2017 la vitesse supérieure avec le rachat du site pecheur.com spécialisé dans la vente en ligne d'articles de pêche et de chasse.
Ce site, créé en 2011, appartenait à Décathlon. Une belle prise avec 700.000 clients depuis sa création, 20 % des ventes à l'international et un CA 2016 de 16,6 M€.
Centre France avait déjà innové dans la vente en ligne avec le lancement en 2015 de la Localerie (basée à Toulouse), spécialisée dans le circuit court alimentaire de produits auvergnats.
L'objectif affiché est d'apporter au groupe de nouvelles recettes qui dépassent ses limites géographiques d'origine.

Récession du "print"


Dernier numéro de l'hebdo local le 26 avril 2018
En arrière plan de ces initiatives innovantes, le papier continue de régresser, comme l'avait prédit Michel Habouzit.
Les chiffres officiels de l'ACPM (ex OJD) ont été sans appel pour 2017-2018.
Tous les quotidiens du groupe sont en recul au plan de la diffusion :
L'Eveil de la Haute Loire - 4,56 % pour 10.287 ex.
Le Populaire du Centre - 5,08 % pour 32.198 ex.
L'Yonne Républicaine - 4,29 % pour 25.098 ex.
Le Journal du Centre - 4,51 % pour 22.636 ex.
L'Echo républicain - 4,52 % pour 25.052 ex.
La République du Centre - 4,04 % pour 29.537 ex.
Le Berry Républicain - 3,53 % pour 28.272 ex.
La Montagne - 4,19 % pour 154.568 ex.

Pour La Nouvelle République du Centre-Ouest la situation  est également difficile : - 1,68 % pour  151.705 ex.
Le quotidien départemental Centre Presse (Poitiers-Châtellerault) - racheté en 1992 par la NRCO au groupe Hersant - plonge avec - 8,33 % pour 10.369 ex.
Particulièrement sinistré L'Eveil de la Haute Loire, au Puy-en-Velay, accuse 544.900 € de pertes pour 2017 et un bilan en baisse de 24,6 %. (sources ACPM et societe.com)
Fondé en 1944 par Louis Rabaste, d'inspiration chrétienne, libéral, social, L'Eveil a été vendu à Centre France par Sud Communication en 2013, qui l'avait acheté en 1996.
En 1993, sa diffusion dépassait les 15.000 exemplaires. En 2000, il passait à l'ère numérique...

Combien de temps Centre France maintiendra-t-il ces titres sous perfusion ?

Du côté des hebdos, la situation est également calamiteuse pour Le Réveil du Vivarais (-10,31 % pour 7.032 ex.) et L'Eveil Hebdo (- 9,68 % pour 4.142 ex.).
L'ensemble des publications voit sa diffusion baisser à l'exception du Régional de Cosne et du Charitois (+ 24,86 % pour 5.484 ex.). Une progression en trompe l'oeil liée à la fusion des deux titres en mars 2017, entre le Régional de Cosne et L'écho Charitois.
Trois titres seulement dépassent encore les 10.000 exemplaires : Le Pays Roannais (17.986 ex. - 4,59 %), L'Eclaireur du Gâtinais (14.594 ex. - 4,13 %) et Le Journal de Gien (12.664 ex. - 4,34 %).

Centre France a annoncé en mars 2018 l'arrêt de La Gazette de la Haute Loire tombée à 2.500 exemplaires (3.061 ex. pour 2017, en baisse de 2,48 %).
Son dernier numéro est paru le jeudi 26 avril 2018...
La décision a été prise en raison de "la baisse continue des ventes et des revenus publicitaires "...
Dans ce département du centre-est du Massif Central, où le chef-lieu Puy-en-Velay, ne compte que 18.909 habitants, la presse hebdomadaire est particulièrement sinistrée.
En 2015, Renouveau, disparaissait après 71 ans d'existence. Fondé en 1927, sous le titre L'Union, il avait été racheté en 2004 par Lozère Nouvelle, du diocèse de Mende. La version Web gratuite, mon43.fr, lancée en 2010, a également cessé d'exister avec la version papier.
Les deux journalistes de La Gazette se sont vus proposer un reclassement dans le groupe et les lecteurs pourront se reporter sur L'Eveil qui peut ainsi espérer un sursaut.

Passer du vieux monde au nouveau monde ne se fait pas sans sacrifice...

Thierry Noël

* Edith Caillard avait pris la présidence du groupe Centre France suite au décès de son mari Jean-Pierre Caillard, le 21 mars 2012, à l'âge de 65 ans.
Entré en 1969 comme journaliste, il était devenu secrétaire général en 1977 puis DG en 1994 et PDG en 1996. Vice-président du conseil d'administration de l'AFP depuis 2011, il avait présidé le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale.

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