jeudi 2 avril 2020

La presse écrite française victime collatérale du Covid-19

Dans quel état les médias sortiront-ils de la crise sanitaire ? Quelles sont les chances de survie pour la presse écrite, placée en « réanimation » depuis des mois pour cause d’inexorable érosion des ventes et de la publicité ? 


Le Monde du 27 mars 2020 (capture d'écran)
Restructurations, plans sociaux et concentrations de ces derniers mois confirmaient déjà l’extrême fragilité d'un secteur confronté à plusieurs redressements judiciaires et liquidations… 
La réduction des coûts restait l'obsession des directions rivées sur le compte d'exploitation... C'était sans compter sur la crise sociale des "gilets jaunes" qui a confronté les quotidiens à la fragilité extrême de leur équilibre économique, les obligeant à accélérer leur mutation numérique, dans l'espoir d'un nouvel équilibre économique indispensable à leur survie. 
Mais tout ça, c'était avant...  Depuis, le coronavirus SARS-CoV-2 est venu donner le coup de grâce à plus d’un titre, avant de pouvoir atteindre leur Terre Promise 
Kiosques confinés, service réduit de La Poste, actualité locale, associative, sportive et culturelle anéanties, éditions peaux de chagrin (réduites d'abord de 19 à 9 au Télégramme et finalement à 4, de 9 à 2 à Nice Matin, de 6 à 1 au Progrès, dans le Rhône), annulations d'achats d'espaces publicitaires, évènementiel sinistré, réseau de distribution Presstalis en redressement judiciaire... 

Face à cette Apocalypse, quelles stratégies élaborer ?


Numérique : solution miracle ?

Pour contrer la baisse des achats physiques, liés à la fermeture des points de vente (au 20 mars, 5.590 points de vente, soit un quart, restaient fermés, selon Médias France), le numérique est devenu la roue de secours la plus efficace et la plus réactive face à la concurrence des chaînes d’info (BFM, LCI) et des journaux télé qui ont vu leur audience exploser
Une stratégie payante en termes d'audience, notamment pour la PQR (presse quotidienne régionale).

L'audience digitale (sites et applis) a doublé (804 millions de visites en mars et les abonnements numériques sont multipliés par dix, d'après le site ourscom.fr (marketing-communication-médias Auvergne-Rhône-Alpes) qui décerne sa palme au groupe Centre France (8 quotidiens, 10 hebdos)
Mais privilégier le numérique a des effets pervers relevés par Jean-Marie Charon, sociologue des médias
Evoquant l’espacement du service postal il souligne que « les éditeurs n’auront de cesse de privilégier les formules d’abonnements numériques, à coup d’offre d’essais aux tarifs particulièrement attractifs. Mais avec quelles répercussions sur l’infrastructure d’impression et les possibles effets induits d’une surcapacité des machines et des effectifs ? » (Alternatives Economiques du 26/03/2020)

Loin de ces considérations économiques, les initiatives se sont multipliées sur le plan éditorial :
Le Monde numéro 1 de la plus forte hausse des ventes de la presse nationale (près de 350.000 exemplaires/jour), grâce à l’essor de l’abonnement numérique, a mis  en accès libre un grand nombre d’articles consacrés à l’épidémie.
Dès le 14 mars, Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien, mettait l’accent dans son éditorial sur « les lives, qui permettent d’interroger nos journalistes, de connaître et de comprendre toutes les évolutions de la situation. A rebours des effets de dramatisation, cette couverture en temps réel cherche à vous permettre de prendre la juste mesure des événements et de leurs conséquences ».
Le site lemonde.fr a connu un afflux de connexions sans précédent tandis que la plupart des journalistes rédigaient depuis leur domicile.

Le Canard Enchaîné, hebdomadaire du mercredi, est disponible en version numérique depuis le 25 mars. Le journal satirique, longtemps hostile à ce mode de diffusion, a décidé de faire le grand saut.

La Dépêche du Midi (groupe Baylet) a mis en avant ses visioconférences pour répondre aux nombreuses questions de la population.
Le rédacteur en chef, Lionel Laparade, explique pourquoi tous les articles « coronavirus » ne sont pas en accès libre : « Nous entendons, naturellement, la détresse, la curiosité ou le besoin colossal d’information, au moment où la France et le monde subissent l’un des pires périls sanitaires qui leur ait été donné de connaître. C’est la raison pour laquelle nous avons maintenu notre offre à 1 euro, pour un accès illimité à l’ensemble de nos contenus. 1 euro c’est peu, mais ce n’est pas gratuit. C’est le prix du symbole… »

Sur le site de La Montagne
D’autres grands titres de la PQR ont sur-développé l’interactivité avec leurs lecteurs : 

lamontagne.fr s'adresse à son coeur de cible, les familles.

ouestfrance.fr mise sur sa rubrique « Ouest France vous répond ».



sudouest.fr la joue sérieux avec « vos questions sur l’épidémie, les réponses des experts ».

letelegramme.fr vante l’entraide pour faciliter la vie des Bretons...

La Voix du Nord (VDN) a utilisé son groupe Facebook entraidons-nous dans le #NPDC, qui compte près de 13.000 membres, basé sur la solidarité : aide aux devoirs, courses pour les plus vulnérables, questions, annonces etc.

Les services marketing-ventes ne sont pas restés inactifs avec des opérations de « dumping » visant à attirer de nouveaux abonnés numériques. Un argument imparable : « toute l’info sans sortir de chez vous ».

Les Dernières Nouvelles d'Alsace n'ont pas hésité à positionner un bandeau allant jusqu'à toute la largeur de la page d’accueil de dna.fr tandis que la rédaction invitait à témoigner par mail "de vos belles histoires, de vos difficultés, de votre vie quotidienne, de vos bons plans, des solidarités qui se mettent en place". 


leprogres.fr s'est contenté de proposer un petit bandeau discret : Nos offres spéciales : toute l'actualité sans sortir de chez vous à partir de 1 €.

Le Courrier de l’Ouest offrait deux mois d’abonnement numérique gratuit.

L’EQUIPE (groupe Amaury) promu son abonnement en ligne au tarif de 0,99 € par mois pendant six mois et L'EQUIPE TV a racheté des droits pour rediffuser des étapes mythiques du Tour de France et des matchs de foot de légende.

Le JDD (groupe Lagardère) a lancé un abonnement numérique gratuit pendant deux mois... 

Le newsmagazine hebdomadaire Le Point (292.795 exemplaires en 2019 - source ACPM) propriété de François Pinault via le groupe Artémis, très dépendant des kiosques, dit MERCI aux marchands de journaux qui restent ouverts...




Au total, les conséquences de toutes ces pertes de recettes seront désastreuses.
DRH, services juridiques et financiers élaborent des scénarios catastrophiques, avec plans sociaux et dépôts de bilan à la clé.


Paris Normandie en liquidation judiciaire


Paris-Normandie a été mis genou à terre par le coronavirus.
Le 21 avril, le tribunal de commerce de Rouen décidait sa liquidation avec poursuite d'activité pour trois mois.
Le titre se trouvait en cessation de paiement depuis plusieurs jours.
Sont concernées, la Société normande d'information et de communication (SNIC) avec ses 216 salariés et la Régie normande de publicité (RNP) qui compte 25 salariés.

Avec 2 M€ de pertes, une dette de 7 M€, une chute de 90 % des recettes publicitaires au mois de mars, et les éditions ramenées de 7 à 1, les rédactions (Seine-Maritime et Eure) ne se faisaient guère d'illusions.
Un véritable appel au secours avait été lancé auprès des lecteurs pour qu'ils s'abonnent... 
Les ventes ont accusé une baisse de 6,8 % en 2019 (41.283 exemplaires - source ACPM et 1.440 ex.  pour le Progrès de Fécamp).


L'appel au secours lancé aux lecteurs
de Paris-Normandie (capture d'écran)
En 2012 et 2016, PN avait déjà connu un redressement judiciaire. 
En 2017, l'industriel normand Jean-Louis Louvel reprenait 90 % des parts du journal via sa holding Fininco Médias. 
Candidat aux municipales à Rouen, il souhaitait se mettre en retrait et envisageait à l'automne 2019 une cession pour 1 € symbolique au producteur Pierre-Antoine Capton (Mediawan, Troisième Oeil), proche de Xavier Niel. 
Finalement, l'opération ne s'était pas faite.
La situation nouvelle ne va pas relancer les négociations car P-A. Capton a annoncé qu'il ne sera finalement pas candidat au rachat.

Quels repreneurs ?

La descente aux enfers du quotidien fondé en 1944, propriété du groupe Hersant du début des années 70 jusqu'en 2012, n'est pas nouvelle : 
en 1983, PN fermait son édition du Calvados et en 2005 ses agences des Andelys, Pont-Audemer et Verneuil-sur-Avre.

Le Club de la presse de Normandie
solidaire, sur Twitter le 15 avril 
Les repreneurs avaient jusqu'au 22 mai pour se manifester, le tribunal de commerce de Rouen devant statuer dans la première quinzaine de juin.

Trois offres ont été déposées
Le groupe belge Rossel, déjà intéressé par une reprise en 2017.
NP holding/IPM, autre groupe belge qui édite le quotidien La Libre Belgique, n°1 de la presse francophone belge, où JL.Louvel serait associé minoritaire avec sa holding Fininco.
Le groupe d'édition médical 1healthmedia. Ce groupe fondé par Julien Kouchner (fils de Bernard Kouchner) est spécialisé dans la formation, le e-learning et la santé a racheté en février dernier le magazine gratuit Bien Etre & Santé, distribué à 400.000 ex. dans les pharmacies.

Finalement, Ouest-France, affaibli ces dernières années, n'a pas voulu se porter des décombres dégagées du passif, pour compléter sa zone de diffusion. PN subit déjà de plein fouet la concurrence des hebdos locaux du groupe Publihebdos, filiale de SIPA-Ouest-France.

D'autres repreneurs potentiels avaient été évoqués : Le Parisien (groupe LVMH) et le groupe de l'hebdo normand La Manche Libre qui, en 2017, avait racheté l'hebdo Le Courrier Cauchois, édité à Yvetot.

En attendant la décision du tribunal de commerce, la rédaction a poursuivi sa mission avec panache : PN publie une édition unique de 48 pages dont 20 sont consacrées à la crise sanitaire. 

Chômage partiel

Sur le front social, nombre d'éditeurs ont recours au chômage partiel :

Le Figaro depuis le 17 mars, pour une centaine de salariés sur 900. 
Au Monde, seule une partie du personnel administratif et commercial bénéficie du dispositif alors que les journalistes en sont exclus. 
Le Parisien/Aujourd'hui en France et Les Echos (groupe LVMH) le chômage partiel a été déclenché à compter du 6 avril, et un plan serait aussi envisagé en cas d’arrêt de l’imprimerie de Tremblay-en-France, révélait la Lettre A (le 20 mars), 
Ouest-France, n°1 de la PQR (634.968 exemplaires vendus en 2019 - source ACPM), a finalement décidé de recourir au chômage partiel pour ses journalistes compte tenu de la baisse des ventes.
Le groupe belge Rossel (7 quotidiens dont La Voix du Nord, n°3 de la PQR), très présent dans le nord de la France, a décidé de "rationaliser" ses parutions.

Sur tout le territoire, la forte chute des revenus publicitaires conduit à une réduction des tirages du fait des coûts de l’impression et de la logistique de distribution. 
Pour la presse gratuite, distribuée dans les grandes métropoles aux bouches de métro, les publications sont suspendues depuis le 17 mars (CNews du groupe Bolloré) et le 18 mars pour 20minutes (groupes Rossel et Sipa-Ouest-France) qui poursuit sa mission sur ses supports numériques (12 millions de visiteurs uniques pour la seule journée du 15 mars). 

Tous les types de presse ont adapté leur offre éditoriale :

Presse magazine : le géant Prisma Media (Femme actuelle, Voici, Capital, GEO, Gala) a vu ses ventes s’effondrer et modifie ses rythmes de parution. Voici passe d’hebdo à mensuel en avril. Des décisions analogues sont attendues pour les autres titres.
ELLE, qui en temps normal vend chaque semaine 330.000 exemplaires, met désormais en avant son offre numérique. Cet ancien fleuron du groupe Lagardère avait été cédé en 2019 au groupe CMI France, du tchèque Daniel Kretinsky qui édite encore les versions "papier" d'Ici Paris et France-Dimanche.

Chez Lagardère Paris-Match, avec plus de 505.000 exemplaires diffusés chaque semaine, ne désarme pas et consacre de nombreux reportages au coronavirus.
Hors-série
du Nouveau Détective

Reworld Media a suspendu la parution du magazine Grazzia (109.419 ex. source ACPM) pour toute la durée de la crise. Le groupe a engagé l'externalisation de sa régie pub et de son service technique dans sa logique économique de la reprise des publications de l'ex-groupe Mondadori France.
Suspension également pour Point de vue - Images du monde édité par Royalement Vôtre Éditions (groupe Pinault-Kering avec Stéphane Bern et Audacia-Charles Beigbeder), en perte de vitesse depuis 2018, après sa cession par le groupe Altice. (182.616 ex.  en 2019, - 7,5 % - source ACPM)
Le Nouveau Détective (109.696 ex. en 2019, - 10,6 % - source ACPM) publie un dossier spécial hors-série et propose un abonnement numérique à 9 € par semaine. Les éditions Nuit et Jour affichaient plus d'un million de pertes en 2018.

Polka Magazine (30.000 ex. à chaque parution) n'a pas attendu la crise sanitaire pour modifier sa formule et réagir à la crise de la presse : la revue consacrée au reportage photo, fondée par Alain Genestar, est passé fin 2019 de quatre à trois numéros par an, a augmenté son prix (9,99 €) mais aussi sa pagination. 

Lire aussi : Claire Léost, directrice générale de CMI France (France Inter 16.05.2020)

Presse sportive : particulièrement dynamique mais très segmentée à travers de nombreux groupes, elle se retrouve fortement impactée, compte tenu des annulations, reports et huis-clos des compétitions. 
Au groupe Amaury, le quotidien L’Equipe a réduit sa pagination et L'Equipe Magazine a été suspendue. 
Selon Jean-Louis Pelé, DG du quotidien, la baisse des ventes  au numéro est de 50 %. (diffusion 2019 : 233.791 exemplaires - source ACPM)

Lire aussi : L'EQUIPE : Craintes sur des mesures d'économie (Le Monde 1/06/2020)
" L'Equipe " : la vie sans sport, par Olivier Ubertalli (Le Point 4.05.2020)

Toute l'activité évènementielle du groupe se retrouve en berne : ASO (Amaury Sport Organisation) qui organise Paris Roubaix, Paris-Nice, le critérium du Dauphiné, Paris- Dakar, le Marathon de Paris, l'Open de France et… Le Tour de France.

La presse régionale (quotidienne et hebdomadaire) a drastiquement réduit ses pages sportives et publications spécifiques (Midi Olympique, bi-hebdo du rugby du groupe La Dépêche du Midi, La Voix des Sports, édition spéciale du lundi de La Voix du Nord).
Le groupe Le Télégramme, en concurrence directe avec Ouest France, réussissait à surnager grâce à sa diversification (40 % de ses recettes), l’apport de ses filiales et ses participations dans l’événementiel. 
Depuis 2004, il organise de grands événements sportifs et culturels (Transat AG2R, Route du Rhum, Solitaire du Figaro, Francofolies). Deux d’entre elles viennent déjà de tomber à l’eau (Printemps de Bourges-Crédit Mutuel et Transat Ag2r) et ce n’est sans doute pas fini...

Avec la fermeture des hippodromes, les dix publications du groupe Turf Editions ont été mises à l'arrêt : Paris TurfParis Courses, Tiercé Magazine, Week-end, La Gazette des Courses, Bilto, Geny Courses, Spéciale Dernière, Stato, Lotofoot Magazine. 
Le 30 juin, Xavier Niel via sa holding NJJ Presse a été désigné par le tribunal de commerce de Bobigny pour reprendre le groupe au prix de cession d'1 M€ suite au redressement judiciaire décidé en mai. Il s'est engagé à investir de 3 à 4 M€ par an sur les trois prochaines années pour assurer la transformation digitale. Bilto, Tiercé Magazine et les mensuels Stato, Cheval Magazine et Cheval Pratique vont cesser leur publication "papier".
Sur le site du siège d'Aix-en-Provence est prévu le licenciement des trois-quarts des salariés et l'arrêt de l'imprimerie de Vitrolles. Au total, seulement 151 salariés sur 248 seront repris. 
N° 1, La Manche Libre, est
indépendante des grands groupes

Presse hebdo régionale : très implantée dans les territoires, elle réunit 250 titres et plus de 7 millions de lecteurs très fidèles en raison de l'hyper-proximité de l'information.  
La PHR compte nombre de petites entreprises familiales fragilisées par l'épidémie, son actualité "fond de commerce" se retrouvant à l'arrêt. 
Exemple : les n°1 et n°2 des ventes, La Manche Libre (55.508 exemplaires en 2019 - source ACPM) et Le Courrier Cauchois (27.445 ex.) - racheté en 2017 - appartiennent à la famille Leclerc-Hardy. Pour tenter de maintenir leur lectorat, ces deux hebdos ont lancé un abonnement "spécial confinement" à tarif réduit (1 € pendant 2 mois au lieu de 5 €) et un accès illimité aux contenus web.
Les grands groupes régionaux sont aussi très présents dans la PHR comme Publihebdos (filiale de SIPA-Ouest France) qui fédère 30 % du marché avec 77 hebdos et 15 gratuits d'information, grâce à 900 salariés, 270 journalistes et 1.000 correspondants. 
Engagée dans le virage numérique, sa plateforme actu.fr a une couverture nationale et figure dans le Top 10 des sites d'info.
EBRA, Rossel, Centre France, La Dépêche, Sud-Ouest contrôlent pour leur part une trentaine d'hebdos. 
Jusqu'alors moins impactée par la crise de la presse, la PHR a régressé de 2,67 % en 2018, d'après le baromètre annuel ACPM. En 2019, la tendance s'est accentuée malgré le développement numérique, un sujet prévu aux débats du prochain congrès du syndicat professionnel (SPHR), initialement prévu fin mai à Dunkerque...
Grâce à la fidélité des abonnés, les trésoreries résistent mais l'on peut s'attendre à de nouveaux rachats ou fermetures.

La précarité s'installe
Sur Facebook, le collectif Tu piges raille L'Obs qui
 consacre un papier à "la grande galère" des pigistes mais...  
Outre les salariés, les conséquences sociales touchent au premier chef les journalistes pigistes dont les commandes ont été freinées ou annulées. 
Ces pertes de revenus vont encore accroître leur précarité, tandis que les syndicats réclament l’extension des mesures compensatrices d’Etat aux pigistes, CDD, étudiants en journalisme en alternance ou en stage. 
Une pétition a été lancée pour qu’ils bénéficient des mesures de chômage.
Viennent ensuite les 33.000 correspondants locaux de la presse régionale et départementale qui ont vu aussi leurs honoraires considérablement réduits. 
Non salariés, leur statut d’auto-entrepreneur les excluent des mesures de chômage partiel. Ils obtiendront seulement un report de leurs cotisations URSSAF et de l’impôt sur le revenu. 

Prêt garanti par l'Etat (PGE) et recapitalisation

Face au coronavirus, le secteur de la presse écrite, déjà en crise, se retrouve dos au mur, obligé d'accélérer sa mutation numérique.
Des décisions lourdes de conséquences sur le plan social devront être prises (suppressions d'éditions papier, fermetures d'imprimeries). 
On peut s'attendre à de nouvelles opérations de concentration, et de cessions au sein des grands groupes... 
Le Monde a obtenu un PGE et une aide de BpiFrance pour faire face à ses pertes estimées à 30 M€.
Au groupe EBRA, le niveau des pertes serait de 35 M€ pour 2020.
La Provence a dû recourir au PGE pour payer ses salaires.
Les trésoreries exsangues incitent aussi aux recapitalisations pour permettre les indispensables investissements d'avenir. 
Xavier Nielfondateur de Free, en volant au secours du groupe Paris-Turf, de Nice-Matin, et de France-Antilles (lire ci-dessous) a donné l'exemple...

Albin Serviant, à la tête de la SAS Têtu Ventures, qui édite le magazine TÊTU, dédié à la communauté homosexuelle-LGBT, annonce une nouvelle levée de fonds d'un million d'euros pour relancer la publication, déjà liquidée en février 2018. Aux côtés de l'actionnaire majoritaire, on trouve la société de production Banijay Productions et Frédéric Biousse, d'Experienced Capital.

Maintenue sous perfusion grâce aux subventions de l'Etat, la presse bénéficie déjà de multiples aides fiscales et tarifaires (TVA réduite, aide postale,  aide au portage, fonds de soutien à l'innovation). 
Au risque de perdre encore un peu plus de son indépendance, la verra-t-on venir pleurer à Bercy quand d'autres secteurs économiques oubliés sortiront anéantis de la crise ?

Thierry Noël-Guitelman

Lire aussi : L'argent public ne doit pas aider les éditeurs à brader la presse écrite (Libération 3.07.2020)


NUAGES ET RAYONS DE SOLEIL…

Avant le coronavirus, les nuages obscurcissaient déjà le ciel de la presse écrite.
Avril 2019 : le groupe Centre France (8 quotidiens) lançait un plan de départs à La Montagne pour rajeunir les effectifs de la rédaction...
Juin 2019 : le groupe EBRA (Est-Bourgogne-Rhône-Alpes), avec ses neuf quotidiens, propriétés du Crédit Mutuel, annonçait la suppression de plus de 386 postes au 1er janvier 2021.

Juillet 2019 : le quotidien communiste L’Humanité, annonçait la suppression de 41 postes sur 157, soit plus du quart de ses effectifs, et le groupe Sud-Ouest (5 quotidiens) mettait en place un plan de départs volontaires pour 132 salariés dont 20 journalistes, applicable à l’été 2020.
Xavier Niel assurait le sauvetage du groupe Nice Matin, via sa holding personnelle NJJ, en devenant l’actionnaire à 100 % de la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), plombée par un déficit de 5 M€ après le désengagement du groupe belge Nethys (actionnaire à 34 %) et une sauvegarde judiciaire depuis mars 2019, dont le quotidien azuréen est sorti le 6 mars 2020.
Niel reprenait aussi les 11 % de Nethys dans le groupe La Provence, propriété de Bernard Tapie, à 89 %.
Novembre 2019 : le tribunal de commerce de Limoges liquidait le quotidien L’Echo, après 76 ans d’existence dans le Limousin, Dordogne et Indre, envoyant 48 salariés à Pôle Emploi.

Capture d'écran du site de France-Antilles le 31 mars 2020
Mars 2020 : le quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest, suite à 24 h de grève, renonçait à un projet de réorganisation interne prévu dans un plan annoncé fin 2018, visant à se séparer de 107 salariés, dont 32 journalistes. Un nombre ramené entre 95 et 100, sans licenciement mais sans remplacer les départs en retraite.
A compter du 4 mars, les cinq départements de la zone de diffusion (36, 37, 41, 79, 86) n'ont plus qu'une édition. En Indre-et-Loire, principal département, les éditions de Chinon et Loches ont été supprimées.

Le 17 mars, au lendemain des annonces sur le confinement, Xavier Niel, obtenait du tribunal de commerce de Fort-de-France, l’acceptation de son plan de sauvetage du groupe France-Antilles, en liquidation judiciaire depuis le 31 janvier.

Le 1er avril, la société NJJ Press, émanation de sa holding personnelle est officiellement  devenue propriétaire des quotidiens France-Antilles Martinique, Guadeloupe et France-Guyane
Quelque 126 salariés sur 235 ont pu sauver leur emploi en attendant le redémarrage du quotidien à l’arrêt depuis le 31 janvier. 
Pour l’instant, seule une version digitale a été relancée avec un accès entièrement gratuit, donc sans recettes…


EN BREF...

LE RETROPEDALAGE DE LA POSTE...

L'Alliance rassemble les syndicats
professionnels : presse nationale régionale,
départementale et hebdomadaire régionale
Après sa décision de réduire la distribution du courrier à trois jours par semaine (mercredi, jeudi, vendredi), il a fallu la pression unanime des éditeurs de presse pour que la Poste fasse machine arrière. (lire ci-contre la position de l'Alliance de la presse d'information générale). 
Le 1er avril, la direction générale reconnaissait son erreur et annonçait une nouvelle organisation permettant la livraison des journaux à une partie des abonnés le lundi, et à une autre partie le mardi.
Il s'agit aussi de distribuer progressivement les colis et le courrier quatre jours par semaine au lieu de trois.
Pour cela, La Poste a décidé de faire appel à « plus de 3.000 personnes » supplémentaires, des volontaires salariés de la filiale Mediapost, des intérimaires et des CDD.
A compter du déconfinement le 11 mai, La Poste reprend sa distribution 6 jours sur 7.

PUBLICITE EN BERNE

«  Depuis près d’une décennie, la presse écrite est le plus grand perdant du marché publicitaire des médias » , souligne Jean-Marie Charon. «  Les reculs ont pu atteindre jusqu’à 8 % certaines années. Pour 2019, l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep) annonçait dans un communiqué du 18 mars un nouveau recul, certes plus « modéré » de 4,1 %. » 
Pour les supports numériques, la Correspondance de la presse indique à mi-avril une baisse de 40 % en mars et 80 % en avril (source Syndicat des régies internet). Pour l'année 2020, la projection serait entre - 20 et - 30 %. Elle était à + 12 % en 2019.

Lire aussi : 

Le coronavirus et le nouveau modèle économique des médias

La presse écrite aux quatre vents (La Croix 9.06.2020)

De l'imprimé au numérique, parcours d'une presse en mutation (Médias-Cité 26.05.2020)

La presse écrite à l’épreuve de la pandémie (Alternatives Economiques 26.03.2020)

La presse écrite navigue à vue (Le Monde 27.03.2020)

Le Covid-19 fait muter la presse locale à marche forcée
(Alternatives Economiques 22.04.2020)

Quand le coronavirus infecte aussi la liberté de la presse dans le monde (RTBF 3.05.2020)

La crise provoque les premiers licenciements dans la presse (La Tribune de Genève 19.05.2020)

TOUTE L'ACTU DES GROUPES DE PRESSE ET D'AUDIOVISUEL

Une bonne connaissance de l’actualité des médias  est indispensable pour celles et ceux qui veulent devenir journalistes.   Le contexte de p...