samedi 20 juillet 2019

Presse quotidienne régionale : l’été meurtrier

Plans sociaux, concentrations et mutualisations, la PQR (presse quotidienne régionale) en pleine mutation numérique connaît un été meurtrier. 



Sud Ouest, le groupe EBRA, la NRCO, Ouest France, Nice-Matin : la PQR dans la tourmente (dr)
Les dirigeants des groupes de presse n’ont plus le choix.
Ils multiplient les plans sociaux face à l’érosion du lectorat : 120.000 exemplaires en moins chaque année depuis plus de dix ans. Du fait de ses lecteurs vieillissants, le taux de renouvellement et de pénétration vers des jeunes urbains reste faible.
En 2018, la PQR ne diffusait plus que 4,4 millions d'exemplaires au lieu de 5,7 millions en 2010 et 7 millions en 1990. Une perte d'audience liée aussi à la concurrence des journaux gratuits et des chaînes d’infos en continu.
Un malheur n'arrivant jamais seul, la chute des recettes publicitaires (937 M€ en 2010, 583 en 2017) s'explique par le ralentissement économique et par l’invasion des GAFA et des réseaux sociaux.
Pour compenser les pertes abyssales de diffusion, la concentration et la diversification ne suffisent pas à colmater les budgets. 
Plus que jamais, la priorité est à la réduction de la masse salariale et aux économies d’échelle pour sauver les meubles.
Le « print » des rotatives mute enfin vers le digital et la monétisation des contenus après des années d’internet gratuit qui ont obéré la mise en place de nouveaux modèles économiques, de nouveaux services aux lecteurs privés de contenus à forte valeur ajoutée. 
Après la révolution des systèmes éditoriaux qui signa la disparition du pré-presse, toutes les rédactions ont vu leurs effectifs fondre. Rien de tel pour améliorer la productivité !
Devenus entièrement polyvalents et plurimédias, les journalistes précarisés, courent après Twitter et produisent désormais à la fois photos, vidéos, articles print et web. 
Les robots sont aux portes des open spaces...
Selon le journal en ligne Mediacités, au moins 108 agences locales de PQR ont dû fermer en dix ans, soit une perte de près de 10 % des effectifs de la presse quotidienne régionale... 
Le phénomène des concentrations s'est accentué en 2015, lorsque le groupe La Dépêche du Midi a acquis le groupe Midi Libre avec l'Indépendant, Centre-Presse Aveyron, La Nouvelle République des Pyrénées, Le Petit Bleu du Lot-et-Garonne. Les plans sociaux ont suivi avec150 emplois supprimés dans les deux groupes. 
En 2017, la Voix du Nord, troisième quotidien régional, a supprimé 132 postes et sa diffusion est tombée en 2018 à 200.987 exemplaires (- 2,14 % / 2017).
Côté rentabilité, les résultats restent calamiteux. 
En dix ans, le chiffre d'affaires global de la PQR a chuté de 20 %, rappelle le chercheur Jean-Marie Charon, dans le baromètre rendu public lors des Assises du journalisme 2019. (*)
Pour multiplier les abonnements numériques,  le dumping des tarifs empêche de consolider les trésoreries souvent exsangues et nombre de sites hésitent encore entre l'accès libre gratuit et l'offre premium payante. Et pour beaucoup de quotidiens, la sous-capitalisation rend impossible d’indispensables investissements.
Les multiples aides de l'Etat (fiscalité allégée, subventions pour la modernisation), système unique en Europe, n'empêchent pas qu’il faut budgéter les indemnités liées aux plans sociaux ou les clauses de cession...
A l'heure où certains rêvent d'un conseil de l'ordre pour mieux encadrer les journalistes, une bataille s’engage pour la survie de la presse écrite nationale, régionale et locale. 
En cet été 2019, particulièrement meurtrier, les mauvaises nouvelles s’accumulent, surtout pour la presse quotidienne régionale (PQR). 
Au total, plus de 700 emplois vont disparaître et moins de la moitié seraient créés...
Revue de presse... sinistrée : 

Sud-Ouest a annoncé le 10 juillet un plan de départs volontaires portant sur 132 postes dont 18 journalistes, applicable à l’été 2020. 
Son bureau d’Angoulême va fermer ce qui condamne l’édition de Charente, déjà ultra minoritaire, en concurrence directe avec le départemental La Charente Libre, autre quotidien du groupe.
En 2013-2014 une précédente restructuration avait supprimé 126 postes.
Le nouveau président du directoire, Patrick Venries, veut réduire la masse salariale des activités « papier » (fabrication, impression, distribution) et accélérer le digital, stratégie mise en route par son prédécesseur Olivier Gerolami qui a quitté le navire en mai dernier. 

Diffusion 2018 : Sud-Ouest 230.160 exemplaires (- 3 %). La Charente Libre 28.701 (- 3,37 %). La République des Pyrénées 27.008 (- 2,58 %). L'Eclair des Pyrénées - Pays de l'Adour 5.985 (- 4,21 %). La Dordogne Libre 4.893 (- 3,51 %).

Nice Matin, avec ses éditions Var Matin et Monaco Matin a connu le 29 juillet l'épilogue d'un long feuilleton qui rendait son avenir incertain. 
Le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, propriétaire de chantiers navals et de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, a finalement annoncé qu'il se retirait du dossier, laissant la voie libre à Xavier Niel, copropriétaire du Monde et fondateur de Free. (Lire ci-contre l'article, très complet, du Figaro)

Le quotidien était dans la tourmente suite au désengagement du groupe  belge Nethys, actionnaire minoritaire (34 %) depuis 2015.
En sauvegarde judiciaire depuis mars dernier, Nice Matin négociait avec Safa lorsque Niel est entré dans le jeu en juin. 
Le Figaro du 29 juillet 2019
Le 12 juillet, ce dernier annonçait l’acquisition des 34 % de Nethys avec un droit de préemption sur les parts de la SCIC. 
Le jour même, en assemblée générale, les personnels préféraient l’offre Safa alors que les journalistes optaient très majoritairement pour Niel qui a su les amadouer par la création d’une société des rédacteurs afin d'assurer l’indépendance de la rédaction.
Les salariés sont majoritaires à 66 %, depuis leur reprise de l’entreprise en 2014 via une SCIC.
L’AG avait également voté la dénonciation judiciaire du pacte d’actionnaires qui donne à Niel un droit de préemption pour un éventuel contrôle de 100 % du capital. 
Par sa décision, Iskandar Safa évite un délicat périple juridique qui aurait pesé sur l’avenir du quotidien soumis aussi aux aléas de la politique locale.
Xavier Niel est considéré comme proche de Macron, alors que Safa roule plutôt pour le député Eric Ciotti qui veut en découdre avec Estrosi , « Macron compatible », aux élections municipales. En lot de consolation provisoire Safa va entrer au capital de la télé locale Azur TV.

Diffusion Nice-Matin 2018 : 68.963 exemplaires (- 5,5 %).

La Provence a également annoncé fin juin le désengagement du groupe Nethys de son capital (11 %). 
Corse Matin a engagé au printemps un plan de suppression de 10 journalistes sur une soixantaine, suite aux décisions du nouvel actionnaire, l'armateur CM Holding, qui fin 2017 avait repris les 35 % d'actions détenues par Bernard Tapie.

Diffusion La Provence 2018 : 93.871 exemplaires (- 4,05 %)
Diffusion Corse Matin 2018 : 30.350 exemplaires (- 5,42 %)

Le groupe EBRA (Est, Bourgogne, Rhône-Alpes), propriété du Crédit Mutuel, a pour objectif de tripler ses revenus du numérique. 
Pour réduire ses charges, il a annoncé début juin la suppression de plus de 386 postes au 1er janvier 2021. 
La mutualisation de ses neuf quotidiens prévoit la création d’une entité prestataire centralisée (EBRA Services) qui permettrait de créer 284 postes. 
En 2018, une régie publicitaire commune avait été lancée et deux rotatives fermées au Républicain Lorrain et à L’Alsace. Déjà, au Dauphiné le plan de départs volontaires a été porté de 120 à 160 postes. Fin avril, la direction souhaitait un gel des embauches, à savoir le non remplacement par des CDD de 21 journalistes sur 40 partis dans le cadre de ce plan, contrairement à l'accord signé par la direction, l'Etat et les organisations syndicales. Motif : les mauvais résultats du début d'année.
Des départs volontaires sont aussi engagés au Journal de Saône-et-Loire et au Bien Public pour 47 postes sur 300, et au Progrès pour 77 postes sur 500.

Diffusion 2018 : Le Dauphiné Libéré + Vaucluse Matin 189.756 exemplaires (- 4,21 %), Le Progrès 166.605 (- 3,74 %), Les Dernières Nouvelles d'Alsace 136.786 (- 2,72 %), L'Est Républicain 114.212 (- 2,84 %), Le Républicain Lorrain 93.871 (- 4,05 %), L'Alsace 66.645 (- 3,51 %), Le Journal de Saône-et-Loire 47.019 (- 1,84 %), Vosges Matin 32.407 (- 3,69 %), Le Bien Public 36.271 (- 2,33 %).

Midi Libre a observé un débrayage d’une matinée le 29 mai dernier,  pour protester contre un plan prévoyant 25 mutations. 
Le quotidien a perdu 36 postes de journalistes depuis son rachat en 2015 par le groupe La Dépêche du Midi, dirigé par l'ancien ministre radical de gauche Jean-Michel Baylet, président de l'UPREG (Union de la presse en région, qui regroupe 64 titres à travers le syndicat de la presse quotidienne régionale, le SPQR, et le syndicat de la presse quotidienne départementale, le SPQD). 
Avec un chiffre d’affaires (73,7 M€ en 2018) en baisse de 3,7 M€ depuis deux ans, Midi Libre a vu ses ventes chuter de 18 % depuis 2014. 

Diffusion Midi Libre 2018 : 95.757 exemplaires (- 5,6 %). 

Le groupe Centre France (8 quotidiens, 10 hebdos régionaux), met aussi en oeuvre le « digital first », et annonçait début avril 2019 un plan de départs à La Montagne, pour « rajeunir la rédaction ». Le dernier plan de développement stratégique, lancé en 2013, intervenait déjà après la suppression de 250 emplois.
La Gazette de la Haute-Loire, le plus petit de la dizaine d’hebdos locaux du groupe, a cessé sa parution en avril 2018.

Diffusion 2018 : La Montagne 151.722 exemplaires (- 4,87 %). Le Populaire du Centre 31.074 (- 6,09 %). La République du Centre 29.062 (- 3;89 %). Le Berry Républicain 27.760 (- 3,76 %).  L'Yonne républicaine 24.647 (- 3,84 %). L'écho républicain 24.316 (- 5,72 %). Le Journal du Centre 22.174 (- 4,3 %). L'Eveil de la Haute-Loire 10.173 (- 3,22 %)

La Nouvelle République du Centre-Ouest (NRCO) dont Centre France est actionnaire (16 %) depuis 2009, a annoncé à l’automne dernier la suppression de 107 postes (dont 32 journalistes) d’ici quatre ans, pour réduire ses charges. 
Conséquences directes à cette nouvelle stratégie de repli : l'arrêt d'une des deux rotatives et la suppression d'éditions locales. Les effectifs passeront en dessous de la barre des 400. 
Centre France cautionne ce nouveau tour de vis, sans rajouter un euro au pot. 
Déjà, en 2009, un lourd plan social avait supprimé 181 postes, entraînant la fermeture de l’édition du Cher et la mutualisation avec Centre Presse dans la Vienne. En 12 ans, ce départemental racheté au groupe Hersant en 1996 a vu sa diffusion divisée par deux.

Diffusion 2018 : Centre-Presse 10.023 exemplaires (- 7,3 %)
NRCO 151.341 exemplaires (- 0,5 %). 

Le groupe Sipa/Ouest France domine la PQR avec cinq quotidiens, et 73 hebdos régionaux via sa filiale Publihebdos.
En 2018, son président, Louis Echelard (banquier qui a fait toute sa carrière au Crédit Mutuel de Bretagne) ne cachait pas son pessimisme  : 
Ouest France va perdre 80.000 exemplaires d'ici 2021 ".  
Une lourde réorganisation, annoncée il y a un an mais suspendue par la direction, devait supprimer 56 emplois moyennant une mutualisation des contenus, afin de réaliser 3,6 M€ d'économies
En supprimant 73 postes (pour en créer 17)  des agences locales du Maine-et-Loire et de la Sarthe devaient fermer, ces éditions reprenant les contenus du Courrier de l'Ouest et du Maine Libre. 
Dans le Maine-et-Loire, les deux tiers des effectifs disparaîtraient.
Les rédactions du Mans, de La Flèche et de Sablé seraient fermées et le bureau départemental transféré dans les locaux du Maine Libre
Dans le Finistère, où la concurrence du Télégramme est forte, il est prévu de réduire les moyens rédactionnels et d'adapter la pagination, tout en dynamisant le numérique.
A Presse-Océan, le bureau de Saint-Nazaire serait sacrifié pour ne pas faire d’ombre à Ouest-France.
D'ores et déjà, la mutualisation est amorcée : les pages du Courrier de L'Ouest seront montées à Ouest-France.
Par ailleurs, le gratuit et le site 20 Minutes, détenus à parts égales par Sipa-Ouest-France et le belge Rossel, a connu deux grèves les 23 mai et 10 juin pour "la revalorisation des salaires" et pour protester contre "le manque d'effectifs". Dans le même temps, Sipa/Ouest-France négocie une montée dans le capital de 20 Minutes.

Diffusion 2018 : Ouest-France 648.485 exemplaires (- 3,4 %). Courrier de L'Ouest 82.852 (- 3,62 %). Le Maine Libre 37.667 (- 2,97 %). Presse-Océan 26.880 (- 3,06 %). La Presse de la Manche 19.733 (- 2,62 %)

Dans les DOM-TOM, la version papier du quotidien France Guyane est menacée de disparition. Une option qui pourrait être privilégiée par l’administrateur judiciaire avant l’audience du tribunal de commerce de Fort-de-France, le 25 juillet. Le groupe France-Antilles (ex-Hersant), a été repris à 100 % il y a deux ans par la holding AJR Participations.

PQN : L'Huma en péril
Le Monde pavoise
Libé se sépare des seniors


Dans la presse quotidienne nationale, bonnes et mauvaises nouvelles se suivent :
L'Humanité a annonce début juillet la suppression de 41 postes (plus du quart de ses effectifs). 
Le quotidien communiste, en redressement judiciaire depuis février, est purement menacé de disparition.

Diffusion 2018 : 31.943 exemplaires (- 5,71 %).

Le Monde est devenu le premier quotidien national, annonce fièrement son directeur Jérôme Fenoglio sur sa page Facebook, " avec une très forte hausse de sa diffusion en mai " (324.471 exemplaires, + 12,17 % / 2018). Il détrône Le Figaro qui progresse aussi en mai (320.877 exemplaires, + 4,81 %) et qui occupait jusqu'alors la première place du podium annuel avec 309.492 exemplaires. Le Parisien - Aujourd'hui en France (groupe LVMH) régresse encore à 286.977 exemplaires (- 5,98 %)
Cette performance est acquise grâce aux Européennes et à la progression des abonnements numériques depuis plusieurs mois, confirmant la réussite de la mutation digitale. 
Une bataille capitalistique s’est aussi engagée cet été : Matthieu Pigasse et le nouvel actionnaire tchèque Daniel Kretinsky négocient le rachat des parts (20 %) du groupe espagnol Prisa dans le quotidien, au grand dam de Xavier Niel qui considère cette offensive comme une agression.

Libération chercher à réduire sa masse salariale en se séparant des seniors. D'après La Lettre A du 19 août, un "généreux chèque de départ " est proposé à ses salariés âgés de plus de 58 ans. Jusqu'à 25 personnes pourraient bénéficier du dispositif.
Diffusion 2018 : 67.238 exemplaires (- 10,68 %)

TOUTE L'ACTU DES GROUPES DE PRESSE ET D'AUDIOVISUEL

Une bonne connaissance de l’actualité des médias  est indispensable pour celles et ceux qui veulent devenir journalistes.   Le contexte de p...