lundi 14 janvier 2019

Les dérapages des Gilets Jaunes contre les journalistes viennent de loin

Le mouvement des Gilets jaunes a révélé un déferlement de haine, de violences verbales et physiques, rarement atteint à l'encontre des médias. 

Cette photo de l'AFP a été reprise par plusieurs médias au lendemain des violences et menaces contre des journalistes

La profession a dû réaffirmer ses principes après les attaques régulières dont elle a été l'objet. 
Une tribune du 15 janvier 2019, signée par 34 sociétés et syndicats de journalistes, dénonçait les menaces, intimidations et violences physiques contre les reporters chargés de la couverture du mouvement des Gilets jaunes : 
La liste des atteintes à la liberté de la presse s'allonge inexorablement ", lit-on. " Empêcher les journalistes de faire leur travail, c'est empêcher les citoyens d'être informés, c'est tout simplement menacer la démocratie ".
Outre BFM, cible favorite, un reporter de LCI avait été roué de coup à Rouen le 12 janvier, des journalistes menacés à Toulon, Marseille, Montpellier, menacée de viol à Toulouse, Pau
Le 18 janvier, un confrère du Républicain Lorrain était agressé sur un rond-point à Saint-Avold.
S'ajoutent des blocages de parution, comme à Valenciennes, contre un dépôt de La Voix du Nord, les imprimeries de Ouest France et du groupe Centre France, de L'Yonne Républicaine à Auxerre

Lire aussi : La parution de journaux régionaux entravée (L'Express 12.01.2019)
Tentative de blocage des Dernières Nouvelles d'Alsace à Strasbourg (DNA 15.02.2019)
Agression au Dauphiné Libéré à Thonon-les-Bains (Dauphiné 15.02.2019)

Reporters sans frontières (RSF) avait déjà porté plainte et fermement condamné ces comportements, rappelant que les journalistes ne faisaient qu'exercer leur devoir d'informer. 

Podcast : Couvrir les mouvements sociaux en tant que photo-journaliste

AFP Making-of "La torche humaine" : récit du photographe syrien Zakaria Abdelkafi




Le SNJ, principal syndicat de journalistes, s'était aussi ému de l'attitude de Bernard Tapie, principal actionnaire du quotidien La Provence, qui a cédé à la pression des Gilets Jaunes, sans concertation avec la rédaction.

Ces faits récurrents intervenaient alors que le Baromètre annuel de la confiance politique du CEVIPOF-Opinionway confirme une tendance lourde dans l'opinion : seulement 23 % des sondés ont confiance dans les médias, lorsque 38 % n'ont pas confiance et 35 % pas du tout confiance... Déjà en 2010, l'indice de confiance n'était que de 24 %... 
Une tendance confirmée par le Baromètre médias Kantar pour La Croix69 % des sondés considèrent que les journalistes ne résistent pas aux pressions politiques, et 62 % aux pressions de l'argent. 23 % justifiant les critiques et l'agressivité envers les journalistes.

Ce rejet des médias est associé aux discours contre les élites et les partis de gouvernement. 
Les délires conspirationnistes, l'antisémitisme et les "fake news" s'ajoutent au climat de haine et aux insultes répétées de certains politiques comme Jean-Luc Mélanchon ("Il faut pourrir les journalistes"). (1)

Alain Juppé, commentant sa nomination au Conseil Constitutionnel, le 14 février 2019, dénonçait pour sa part "un climat général infecté par les mensonges et les haines que véhiculent les réseaux sociaux."




(CEVIPOF-Opinionway, janvier 2019)


Lire aussi : SONDAGE 53 % des Français pensent que la plupart des médias ont mal couvert le mouvement des Gilets jaunes (JDD 9.03.2019)

Le « Quatrième pouvoir » n'est plus ce qu'il était...

Jadis contre-pouvoir, la presse véhiculait des idées. Pour soutenir le capitaine Dreyfus, Emile Zola publie son « J’accuse » dans L’Aurore. Jean Jaurès, directeur de L’Humanité, est assassiné en 1914. 
En 1954, les tortures de l'armée en Algérie sont dénoncées dans L'Express.
En 1971, Le Nouvel Observateur publie le Manifeste des 343 salopes, qui eurent le courage de dire "Je me suis fait avorter", trois avant la loi Veil.
En 1973, Sartre, Clavel et quelques maoïstes lancent Libération... Il ne survit aujourd'hui que grâce au groupe Drahi, après qu'Edouard de Rothschild ait jeté l'éponge en 2014 avec une dette de 52 M€.
En 1974, le quotidien Combat cesse de paraître... 
Cette presse n'est plus qu'une nostalgie. Ses actuelles déclinaisons numériques restent marginales (les web TV Le Média, ou à l'opposé La France LibreFigaro Vox, et Causeur). (2)
Seul, l'hebdo de droite Valeurs Actuelles  - qui depuis 2015 appartient à l'homme d'affaires franco-libanais Iskandar Safaincarne encore sur le papier la constance de la critique du libéralisme. En 2018, les news magazines l'Ebdo et Vraiment n'ont pas survécu...

Une défiance qui vient de loin

La défiance envers les médias vient de loin...
Depuis longtemps, le "politiquement correct", la connivence des médias et des pouvoirs, ont donné du grain à moudre aux discours populistes.
Le rédacteur en chef de La Voix du Nord, Patrick Jankielewicz reste bien isolé dans la profession après avoir annoncé ne plus vouloir soumettre à la relecture des politiques leurs interviews.

A la Libération, les ordonnances de 1944, fonds baptismaux d’une presse renaissante, n’empêcheront pas les concentrations et l’avidité de groupes soucieux de profits immédiats (Prouvost, Hachette, Del Duca, Hersant). 
Suivront cinq décennies de restructurations, de disparitions de journaux. Ces dix dernières années restent marquées par une incapacité notoire à imaginer un modèle économique adapté à la transition numérique du XXIe siècle, permettant de redonner son indépendance à la presse et d'assurer son avenir. 
Le sous-développement s’est installé dans les rédactions. La précarité aussi...


Interview d'Alain Minc dans Le Point, janvier 2019
De nombreux journalistes sont devenus des producteurs stressés, polyvalents, dépendants de marchés publicitaires volatiles. 
Ironique, mais pas que, le livre du photo-reporter Olivier Goujon"Ces cons de journalistes", (éditions Max Millo) interpelle sur la précarisation massive du métier de journaliste.

Lire aussi : "Ces cons de journalistes" - 3 questions à Olivier Goujon

Salariés ou pigistes, les journalistes n'ont évidemment rien de commun avec les actionnaires des grands groupes pour lesquels ils travaillent. 
Alain Minc, dans son dernier ouvrage " Voyage au centre du système " (Grasset, 2019) explicite la confusion faite par nombre de Gilets jaunes (lire ci-contre).


Qui possède la presse écrite ? 


La concentration des principaux médias, entre les mains de quelques groupes industriels et financiers, n'est pas étrangère à la défiance vis-à-vis de l'indépendance des journalistes.
La presse nationale n'est plus qu'une niche fiscale, usant des subtilités de l'intégration des holdings, les bénéfices de certaines sociétés étant compensés par les pertes d'autres sociétés du même groupe... (3)
Aujourd'hui, les médias français appartiennent aux plus riches comme en atteste le classement annuel des milliardaires français du magazine américain Forbes :
N°1 (N° 4 mondial) Bernard Arnault (LVMH), Le Parisien, Les Echos (66,9 Md€).
N°3, François Pinault, groupe Artemis Le Point, L'Agefi, le stade Rennais (26,1 Md€).
N°4, Famille Dassault, groupe Le Figaro (21,1 Md€).
N°9, Patrick Drahi (Altice, SFR), Libération, L'Express, L'Expansion, i24news, BFM, RMC (6,8 Md€). 
N°12, Vincent Bolloré, Canal +, CNEWS, C8, CNews Matin (4,5 Md€).
N°18, Xavier Niel (Free), groupe Le Monde (3,6 Md€). 
49 % des actions du banquier Matthieu Pigasse ont été rachetées en octobre 2018 par le tchèque Daniel Kretinsky, également propriétaire de l'hebdo Marianne et des magazines de Lagardère. Sa fortune personnelle n'est que de 2,5 Md$. 
N°19, Martin et Olivier Bouygues, groupe TF1 (TF1, TMC TFX, LCI) (3,2 Md€).

Plusieurs pratiquent l'optimisation fiscale qui n'a rien d'illégal... Bernard Arnault, qui a retiré sa demande de nationalité belge en 2013, a placé des actifs à Malte, Jersey, le Luxembourg, les îles Vierges, Caïmans, Man. Les holdings de Patrick Drahi sont au Luxembourg et à Guernesey. 
Si le groupe Lagardère ne réalise plus que la moitié de son chiffre d'affaires dans la presse, il a pu se désendetter grâce aux banques BNP Paribas et Calyon, filiale du Crédit Agricole. Depuis avril 2017, son premier actionnaire (13,03 %) est le fonds souverain Qatar Investment Authority...

La mise en cause des médias intervient également alors que la presse française est en pleine mutation économique et numérique, et que de nombreux titres s'ouvrent aux capitaux étrangers. 
Outre l'arrivée en 2018 du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, le marché français de la presse magazine passait jusqu'alors par l'italien Mondadori (propriété de Sylvio Berlusconi via la Fininvest) avec Grazia, Closer, L'Auto Journal, Nous Deux, Biba, Télé Star, Télé Poche, Sciences&Vie, Le Chasseur Français, contrôlés par la filiale française Mondadori France.
Elle a été cédée début février 2019 au groupe français Reworld Media qui devient le nouveau n°1 de la presse magazine française

Fondé en 2012, ce groupe possédait déjà Télé MagazineVie Pratique (rachetés à Springer), Marie France, Union,  Be, Maison & Travaux, Le Journal de la Maison, Mon Jardin & Ma Maison, Auto Moto.
Son PDG Pascal Chevalier détient 18,9 % des actions, la société européenne de capital-investissement IDinvest Partners 22 %, Rothschild Asset Management 14,4 %, le fonds singapourien Hera Capital 4,6 %. 

Sont également très présents les américains Hearst (Cosmopolitan) et Condé Nast (Vanity Fair, Vogue, Glamour), l'allemand Prisma (Géo, Voici, Femme Actuelle, Gala, Capital, Ça m'intéresse, Télé Loisirs, National Geographic). 
En 2016, à 20 Minutes, le belge Rossel a repris 50 % des actions du norvégien Schibsted à l'origine du quotidien gratuit avec le groupe Ouest France. Le monégasque Franck Julien, président du groupe de nettoyage Atalian, est le principal actionnaire de La Tribune depuis fin 2016. Le franco-libanais Georges Ghosn, ex-propriétaire de La Tribune, Le Nouvel Economiste  et  France Soir, a racheté VSD en juin dernier...
Quant à la presse quotidienne régionale, après des années de sous-capitalisation, d'incurie managériale, et d'Internet gratuit, elle est soumise à la dépendance des banques (Crédit Mutuel pour les neuf quotidiens du groupe EBRA, Crédit Agricole pour La Voix du Nord et le groupe Centre France) et aux groupes étrangers (les belges Rossel et Nethys qui s'est désengagé de Nice Matin mais reste présent à La Provence).
Conflits d’intérêts et faiblesses déontologiques sont devenus un risque permanent, dans ce monde complexe. 
L’investigation, l'enquête approfondie, sont devenus rares (à l’exception des collaborations collectives à l’échelle internationale, style Panama Papers).
Face aux « fake news », rares sont les médias (Libération, Le Monde, France Info) qui disposent d'équipes spécialisées dans la vérification des faits, comme pour rétablir le contrat de confiance

Peut-on encore sauver la presse ?

Que penser de l’indépendance d’une presse qui ne survit que grâce aux aides de l’Etat ? 
Cas unique en Europe, les aides à la presse française sont multiples : TVA réduite, aides postales, abattement des cotisations sociales, fonds de soutien à l'innovation, aides au portage, au pluralisme. En 2017, le montant total de ces aides s'élevait entre 580 M€ et 1,8 Md€... 
En 2015, Google a même apporté 60 M€ sur trois ans pour le développement numérique.
La Cour des Comptes, dans un rapport de février 2018, sans doute oublié sur une étagère poussiéreuse, préconise une réforme de fond pour orienter les aides à la presse vers le numérique...
Les audiences numériques en hausse (70 % de l'audience de la presse quotidienne, 51 % pour la presse régionale et 69 % pour la presse magazine, en septembre 2016) sont négligées alors que la presse imprimée a bénéficié de 89,5 M€ d'aides directes sur 100,2 M€ en 2016.
En matière de distribution, la loi Bichet - qui date de 1947 - va enfin être réformée...
Alors que la presse française reste prisonnière des aides de l'Etat et des structures capitalistiques classiques, les modèles alternatifs comme le financement participatif, sont sous utilisés. 
Depuis fin 2016, la loi Bloche, sur l'indépendance et le pluralisme des médias, permet aux souscripteurs d'une entreprise solidaire de presse de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu de 50 % du montant investi.
Cette nouvelle niche fiscale profite aussi à des actionnaires rompus à ces dispositifs : Pigasse et Niel, du Mondesont actionnaires du site Les Jours et de Mediawan spécialisé dans les contenus audiovisuels. Niel est également actionnaire de Causeur et de Polka le magazine photo lancé par Alain Genestar, ancien directeur de Match...

En 2018, quid de la mutation digitale de la presse ? 

Seuls quelques groupes ont engagé sérieusement leur mutation (EBRA, Centre France, Sud Ouest, Le Parisien) après des années de gratuité totale des contenus sur Internet. Quant au nouveau papivore Jean-Michel Baylet, patron du groupe La Dépêche-Midi Libreet ancien ministre radical, il réussi à obtenir du Fonds stratégique pour le développement de la presse une subvention de plus de 3,4 M€ pour changer de rotative ! 

Le mouvement des Gilets jaunes a le mérite de réveiller une profession pétrifiée par ses difficultés : 
Dans Le Télégramme (du 15 décembre 2018), le spécialiste des médias Dominique Wolton s'interroge sur les médias qui ont perdu le sens de la hiérarchie de l'information, la domination des réseaux sociaux et des chaînes d'info continue.
Il y a dix ans déjà, Florence Aubenas dans « La Fabrication de l’information » (La Découverte, 1999) écrivait :  «  Le travail d’un journaliste ne consiste souvent plus à rendre compte de la réalité, mais à faire entrer celle-ci dans le monde de la représentation ». 
Dans Libération (du 18 janvier 2019), des journalistes, majoritairement parisiens, font une lucide autocritique face à la défiance dont ils sont l'objet : absence de diversité, déconnexion des réalités, pas assez de terrain, trop de commentaires, de donneurs de leçons, d'experts, moins de reportages, piégés par l'audience, par les réseaux sociaux...
Le début d'une prise de conscience ?

On attend de voir comment les juges appliqueront la loi "anti fake news", finalement votée dans l'indifférence totale en novembre dernier. Principale lacune, elle ne s'applique qu'en période électorale. 
Une loi voulue par le Président Macron qui attend tout d'un haut conseil de la déontologie journalistique. Une instance d'autorégulation ne règlera rien.

Quant à l'éducation aux médias inscrite dans les programmes de l'Education nationale, on aimerait qu'elle devienne un réel enseignement plutôt qu'une initiative pédagogique laissée à la discrétion de quelques enseignants motivés. (4)

Thierry Noël

Lire aussi : Conseil de déontologie des médias : une instance de régulation des médias sans pouvoir de sanction (Lemonde.fr 27.03.2019)

Macron ou la tentation de la "Pravda" (Lepoint.fr 3.02.2019)

Haine sur internet : une loi "pour mettre fin à l'impunité" (Lepoint.fr 15.06.2019)


(1) Jacques de Saint Victor, Les anti politiques (Grasset, 2014)
(2) Les médias d'opinion, un développement durable ? (Pauline Port, INA Global, mars 2018)
(3)  Jean Stern, Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais ! (La Fabrique, 2012)
Amaury de Rochegonde, Richard Sénéjoux, Médias - Les nouveaux empires (First, 2017)
Les Décodeurs du Monde : rémunérations, privilèges, choix de sujets... Les idées reçues sur les journalistes 
The Conversation : Et si tout n'était pas de la faute des écoles de journalisme ?
(4) En 2019, une autre éducation aux médias est possible (L'Observatoire des médias, janvier 2019) 

dimanche 30 décembre 2018

La presse française dans les mains des capitaux étrangers

Les capitaux étrangers sont de plus en plus présents dans les médias français. Américains, anglais, allemands, belges, espagnols, italiens, ont investi bien avant les récentes prises de participation du tchèque Daniel Kretinsky. Explications.



2018 : L'année aura été marquée par la montée en puissance des capitaux étrangers dans les médias français. 
En l'espace de quelques mois, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky et son groupe Czech Media Investi (CMI) sont partis à la conquête de la presse française, en rachetant tour à tour l'hebdo Marianne, les magazines du groupe Lagardère (à l'exception de Match et du JDD) et une partie des actions du banquier Matthieu Pigasse présent dans Le Monde via sa holding Les Nouvelles éditions indépendantes (LNEI).
A la tête de Czech Media Invest (CMI), cet homme d'affaires de 43 ans, très influent dans le secteur de l'énergie, possède le groupe EPH - société domiciliée au Luxembourg - , qui produit et distribue de l'électricité d'origine thermique dans plusieurs pays européens. 
Fin décembre 2018, EPH a été choisi pour reprendre les actifs français du groupe allemand Uniper qui possède deux centrales au charbon, à Gardanne (Bouches-du-Rhône) et Saint-Avold (Moselle) - revendues au groupe Total -, ainsi que six parcs éoliens et deux centrales solaires. 
Depuis 2004, Kretinsky est également président et copropriétaire de l'emblématique club de foot, l'AC Sparta de Prague. 
L'enquête des Panama Papers a révélé qu'il avait fait appel aux paradis fiscaux aux Vierges britanniques, pour l'acquisition de catamarans, et à Jersey, pour l'achat d'une superbe villa classée à Londres pour 20 millions de livres sterling... 

Son aventure médiatique commence en 2013, lorsqu'il rachète la filiale tchèque des journaux détenus par le Suisse Ringier et l'allemand Springer. 
Il fonde alors Czech News Center, rattaché à la holding Czech Media Invest.

CMI est devenu l'un des plus gros groupes de presse de la République Tchèque qui édite le quotidien tabloïd Blesk, Aha !, le magazine Reflex, des magazines auto-moto, le site d'actualité info.cz. Il est aussi leader dans l'édition et la distribution de livres.

Marianne et les magazines
du groupe Lagardère...

En France, Kretinsky passe à l'action en avril 2018 en s'offrant l'hebdo Marianne où il entra au capital à hauteur de 91 %. 
Il sauve ainsi le magazine qui faisait l'objet d'une procédure de redressement. 
Fondé en 1997 par Jean-François Kahn et Maurice Szafran, il avait été racheté à partir de 2006 par Yves de Chaisemartin, ancien avocat de Robert Hersant, ancien dirigeant de la Socpresse, puis administrateur en 2005 du groupe belge Rossel.

Toujours en avril, le groupe Lagardère - jusqu'alors n°1 de la presse magazine française - annonçait être entré en négociation exclusive avec le groupe tchèque pour lui céder plusieurs titres emblématiques, vendus 52 M€ : 

Version Fémina (2.598.289 ex. - 4,77 %).
Télé 7 Jours (1.049.405 ex. - 4,25 %).
ELLE (336.294 ex. + 4,55 %) et ses sites internet.
France Dimanche (265.695 ex. - 1,36 %).
Ici Paris  (253.628 ex. + 1,01 %). 
Public (158.292 ex. + 0,15 %).
Le bimestriel Art & Décoration (207.523 ex. - 1,39 %).
Shopcade, d'origine britannique, rachetée en 2017 par Lagardère, a été fermée. Cette filiale assurait le e-commerce des sites ELLE et Public.
Outre les clauses de cession de nombreux journalistes, CMI s'est séparé d'une cinquantaine de postes de cadres et d'employés au sein des ex-titres Lagardère.

CMI a également repris les radios du groupe Lagardère en République Tchèque, Pologne, Roumanie et Slovaquie, notamment Frekvence 1 et Europa 2 pour 73 M€.

En juillet 2018, Lagardère annonçait déjà deux cessions importantes : 42 % du groupe Marie Claire à la famille fondatrice, le groupe Prouvostpour 14 M€, et son pôle santé (MonDocteur, plate forme de prise de rendez-vous en ligne, cédé à Doctolib, et Doctissimo, leader de l'information santé, cédé au groupe TF1.)

Le groupe Marie Claire édite Cosmopolitan (édition française : 283.836 ex. - 10,57 %), les mensuels Marie Claire (353.167 ex. - 5,26 %), Avantages (388.312 ex. - 3,81 %), Votre Beauté, La Revue du vin de France.
Les bimestriels Famili, Marie Claire Maison.
Le mensuel gratuit Stylist avec le britannique Shortlist Media.
Les trimestriels Marie Claire Idées, Mariages.
Les bimestriels 100 Idées jardin, 100 Idées déco.

Ces cessions permettent au groupe Lagardère (13,03 % de son capital est détenu par Qatar Holding) de se recentrer dans des secteurs jugés plus stratégiques comme Lagardère Publishing (l'édition) et Lagardère Travel Retail (les boutiques Relay des gares et aéroports). 
Lagardère Active conserve seulement Paris Match, le Journal du Dimanche, les radios Europe 1, Virgin Radio, RFM, et les télés MCM, Virgin Radio TV, TiJi, Elle girl, RFM TV et Best of shopping
Fin décembre 2018, Lagardère Active annonçait la cession de son pôle télé (Gulli, Canal J, Tiji) à M6 officialisée en mai 2019 à l'exception de Mezzo, dont Lagardère possède 60 % (le reste appartenant à France Télévisions).
Les sites sportifs de Newsweb, filiale acquise en 2016, ont été cédés en octobre 2019 au groupe Reworld Media.

Déjà, en 2011, Lagardère vendait à l'américain Hearst pas moins de 102 titres édités à l'international (dont 17 en Espagne, 11 au Japon et 7 aux Etas-Unis) dont les éditions étrangères de Elle, pour 651 M€. 
Lagardère conservait la propriété de la marque du magazine moyennant une licence et une redevance annuelle sur le chiffre d'affaires. En 2009, le pôle magazine de Lagardère enregistrait une perte de 2,5 M€, liée à la contraction des recettes publicitaires.

... Le Monde

Le 25 octobre 2018, Matthieu Pigasse, dirigeant de la banque Lazard, officialise la cession de 49 % de ses parts de Le Nouveau Monde à Daniel Kretinsky. 
Cette société est dans la holding Le Monde Libre, actionnaire du Groupe Le Monde (72,5 %) et de L'Obs (98 %). 
On y trouve aussi Xavier Niel, propriétaire d'Iliad-Free (également actionnaire de Causeur et du magazine photo Polka, créé par Alain Genestar, ancien directeur de Match) et, depuis 2005, le groupe de presse espagnol Prisa qui cherche à céder ses 20 % d'actions
Dans un entretien aux Echos, début novembre, Kretinsky expliquait cet investissement : 
" Investir dans la presse ce n'est pas un investissement économique pour moi, c'est plutôt un engagement citoyen ". 
Il entend également agir contre les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) : "Je pense que les médias ont un combat à mener sur la régulation des GAFA. Certains exercent une concurrence sauvage aux médias standards et d'autres captent beaucoup trop de la valeur ".
Denis Olivennes, ancien patron des médias de Lagardère, préside l'ensemble des activités de presse françaises du nouveau propriétaire tchèque.

Matthieu Pigasse se retrouvant à titre personnel à un haut niveau de surendettement, il doit céder la totalité de ses parts au magnat tchèque, estime une enquête de la Lettre A (mai 2019).

Dans Libération (24.03.2019) l'entrée de l'homme d'affaires tchèque dans le capital est compliquée par la lente mise en place d'un "droit d'agrément" obtenu par les salariés. Ce dispositif, qui permettrait de refuser un actionnaire jugé indésirable par le personnel, n'est toujours pas officialisé.


Les précédents investissements étrangers

Les magazines du groupe italien Mondadori, lié à la Fininvest, propriété de Sylvio Berlusconi
Déjà dans le passé, des groupes de presse étrangers ont pris le contrôle de nombreux médias français ou dominent leur marché.

Presse magazine : 

En 1973, le groupe américain Hearst lance avec Marie Claire (appartenant alors au groupe Lagardère), l'édition française du magazine féminin Cosmopolitan, qui dispose de 57 éditions dans le monde entier.

D'autres groupes américains éditent en France : 
Condé Nast a lancé en 2013 l'édition française du mensuel Vanity Fair (76.265 ex. - 16,22 %) avec Michel Denisot comme directeur de la rédaction. 
Depuis 1968, il édite le magazine de mode Vogue Paris (95.479 ex. - 5,3 %) et le semestriel Vogue Hommes International.
En 2004, Condé Nast lance le mensuel féminin Glamour (192.080 ex. - 22,28 %), déclinaison de la version américaine publiée depuis 1939.
En janvier 2020, l'édition française disparait.

Egalement, les éditions françaises de AD (Architectural Digest) (79.622 ex. - 8,25 %), fondé en 1920,  et GQ - Gentlemen's Quarterly (73.755 ex. - 19,2 %), trimestriel lancé en 1957, publiée en France depuis 2008.

Walt Disney Company France, avec Lagardère Active, édite depuis 1991 Le Journal de Mickey (97.027 ex. - 4,6 %). Au total une quinzaine de titres Jeunesse (Bambi, Winnie, Disney Junior, Picsou Magazine, Winie Jeux, Mickey Jeux, Mickey Parade Géant etc.)

En 2013, le Reader's Digest (57.064 ex. - 19,39 %), fondé aux Etats-Unis en 1922, revendait sa branche française, belge et finlandaise à l'espagnol CIL (Club Internacional del Libro). La marque est maintenant exploitée par le français Art Gallery France, spécialisée dans la vente à distance de produits d'édition et de loisirs.

En 1994, le groupe français les Editions Mondiales (ex groupe Del Duca) devenu EMAP France, filiale du groupe britannique East Midlands Allied Press, reprenait une dizaine de titres du groupe Hersant pour les céder en 2006 à l'italien Mondadori dont la maison mère est la Fininvest, propriété de Sylvio Berlusconi. 
En 2009, Mondadori France lançait Grazia (117.936 ex. - 17,6 %).

La filiale française du groupe italien détient une trentaine de titres :

Auto : L'Auto Journal (103.072 ex. - 1,77 %) lancé par Robert Hersant en 1950.
Auto Plus, Auto Plus Classiques, Sport Auto, Sport Auto Classiques, Auto-Journal Evasion et 4X4.
Femmes : Pleine Vie (624.436 ex. - 8,95 %).
Top Santé (325.444 ex. - 6,04 %).
Modes & Travaux (312.853 ex. - 14,07 %).
Nous Deux (192.159 ex. - 6,87 %).
Biba (260.001 ex. - 10,39 %), Grazia, L'Ami des Jardins, Vital, Vital Food, Les Veillées des Chaumières, et le dernier né Dr Good (165.074 ex.), bimestriel lancé en septembre 2017, à l'initiative du médecin-animateur télé Michel Cymes
Infotainment : Télé Star (757.617 ex. - 4,92 %).
Télé Star Jeux, Télé Poche (371.929 ex. - 5,02 %).
Closer (235.935 ex. - 7,76 %), Slam.
Nature :  Le Chasseur Français (233.145 ex. - 5,95 %). 
La Revue Nationale de la Chasse, Grand Gibier, Tir Mag. 
Sciences et Loisirs : Sciences&Vie (220.933 ex. - 7,28 %), Sciences&Vie Junior, Les Cahiers de Sciences&Vie, Sciences&Vie Découvertes, Guerres & Histoire, Réponses photo, Diapason.


En difficulté, Mondadori France a été cédé début février 2019 au français Reworld Media, qui devient le nouveau n°1 de la presse magazine. 
Fondé en 2012, ce groupe avait racheté plusieurs magazines en difficulté Télé Magazine (143.399 ex. - 5,07 %) et Vie Pratique au groupe Springer. 
En 2014 il a fait l'acquisition avec le belge 4B Media-Groupe Rossel de 10 titres cédés par Lagardère Active : Psychologies, Be, Première, Périscope (papier),  Maison & Travaux, Le Journal de la Maison, Campagne Décoration, Mon Jardin & Ma Maison, Auto Moto, et Union.
Son PDG Pascal Chevalier détient 18,9 % des actions, la société européenne de capital-investissement IDinvest Partners 22 %, Rothschild Asset Management 14,4 %, le fonds singapourien Hera Capital 4,6 %. 

La stratégie de Reworld, basée sur les recettes publicitaires, est largement contestée dans la profession. 

Lire aussi  : Sur 330 journalistes en CDI, 194 ont fait jouer la clause de cession, ainsi que 74 pigistes. (Le Monde 1.10.2019)


Prisma Média (filiale du groupe allemand Gruner + Jahr, détenu par Bertelsmann, leader de la communication dans le monde, qui possède notamment RTL et M6) rachetait en 1996 VSD, en dépôt de bilan, aux fils de son fondateur Maurice Siégel, ancien directeur d'Europe 1. 

Ce groupe possède des magazines dans plusieurs thématiques :
Découverte : Géo (167.681 ex. + 4,26 %), Ça m'intéresse (205.752 ex. - 7,86 %), National Geographic (55.627 ex. - 5,76 %).
Economie : Capital (190.894 ex. - 7,87 %), Management, Harvard Business Review.
Télévision :  Télé 2 Semaines (732.959 ex. - 4,69 %).
TV Grandes chaînes (720.587 ex. - 4,69 %).
Télé-Loisirs (658.114 ex. - 6,58 %).
People : Voici (236.350 ex. - 3,43 %). 
Gala (201.946 ex. - 0,79 %), Neon (28.920 ex. - 15,74 %).
Femmes : Femme Actuelle (562.349 ex. - 8,91 %).
Cuisine Actuelle (118.402 ex. - 11,71 %), Prima (269.266 ex. - 5,22 %), Flow (68.340 ex. - 13,61 %), As you like, et Serengo (ex Femme Actuelle senior).

En 2014, le belge 4B Media (Groupe Rossel et le français Reworld Media) rachetait plusieurs titres du groupe Lagardère (Psychologies Magazine, (265.690 ex. - 9,93 %), Auto Moto, Première, Be magazine, Mon Jardin & Ma Maison, Union, Maison & Travaux, Campagne Décoration, Le Journal de la Maison, Pariscope).

Depuis fin 2016, La Tribune a pour principal actionnaire (37,5 %) le monégasque Franck Julien, président du groupe de nettoyage AtalianEn 2012, le quotidien économique avait suspendu son édition papier pour une version numérique hebdomadaire.

En juin 2018, le franco-libanais Georges Ghosn, ex-propriétaire de La Tribune, Le Nouvel Economiste  et  France Soirrachetait VSD pour transformer le magazine hebdo en mensuel avec une réduction du personnel de moitié. En 2017, la diffusion du titre n'était plus que de 81.758 exemplaires (- 19,4 % / 2016). En 2018, le mensuel diffuse 99.471 ex.

En 2015, Iskandar Safa, homme d'affaires franco-libanais, propriétaire du groupe Valmonde rachetait Valeurs Actuelles (101.068 ex. - 14,51 %) au groupe Pierre Fabre. Valmonde édite aussi Mieux Vivre Votre Argent, Jour de cheval, Marine & Océansvia Priminvest Médias, filiale de la holding Priminvest dont Etienne Mougeotte et Charles Villeneuve sont actionnaires.

Toujours en 2015, le français Move Publishing (ex Reboot Media Participations, conduit par Didier Quillot, ancien président du directoire de Lagardère Active et DG de la Ligue de football professionnel, avait racheté en 2015 la filiale française de l'allemand Motor Presse, spécialisée dans la presse sportive. 
En dépit d'un fort virage numérique, cinq titres - et l'activité événementielle - seront repris en juin 2018 par les Editions Larivière : Moto Journal, Le Cycle, Jogging International, GP Plus, L'Officiel du Cycle, de la moto, du quad, de la mini-voiture.


Presse quotidienne : 

En 2002, le groupe norvégien Schibsted lançait en France le quotidien gratuit 20 Minutes.
Jusqu'en 2016, le groupe Sipa Ouest-France était actionnaire à 50 %. Schibsted céda alors sa participation au groupe belge Rossel. 
Les filiales de Sipa Ouest-France Spir Communication et Sofiouest détiennent chacune un quart du capital.
En 2010, Schibsted faisait l'acquisition du site Le Bon Coin racheté à Spir pour 140 M€. Le géant français des petites annonces en ligne entrera en Bourse au second trimestre 2019.

L'International New York Times (depuis 2013), ex International Herald Tribune. Edité en français à Paris depuis 1887, sa diffusion se limite à seulement 13.897 ex. (- 3,32 %).
Les groupes étrangers investissent aussi dans la presse quotidienne régionale, faute de capitaux français : le belge Rossel possède depuis 2005 le groupe La Voix - 8 quotidiens - La Voix du Nord, Nord-Eclair, Nord Littoral, Courrier Picard, L'Union, L'Ardennais, L'Est Eclair, Libération Champagne.
Et 14 hebdomadaires locaux : Le Messager de Thonon, L'Essor Savoyard, Le Pays Gessien, La Savoie, La Tribune républicaine de Bellegarde, L'Avenir de l'Artois, La Semaine dans le Boulonnais, L'Indicateur des Flandres, L'Echo de la Lys, Le Journal de Montreuil, Le Phare Dunkerquois, Les Echos du Touquet, Le Journal des Flandres et Le Réveil de Berck.

Le belge Nethys - qui intervient dans les secteurs de l'énergie et de la presse - actionnaire depuis 2016 de Nice Matin (34 %) et de La Provence (11 % depuis fin 2015) a annoncé fin 2018 son intention de se désengager du groupe niçois qui édite également Var Matin et Monaco Matin. Un pacte d'actionnaires prévoyait une montée en puissance de Nethys dans le capital du quotidien niçois, et devait passer à 51 % au 31 décembre 2018. Le franco-libanais Iskandar Safa, via sa holding Priminvest, s'était porté sur les rangs, jusqu'à l'offre de Xavier Niel.

Télévision

BeIn Sports a été lancé en France en juin 2012 par Al Jazeera Sports. Depuis 2014, la chaîne appartient au réseau BeIn Media Group lancé au Qatar, créé par l'Emir du Qatar.

Euronews, chaîne lancée en 1993 par dix groupes audiovisuels publics européens pour concurrencer l'américaine CNN, est contrôlée depuis 2015 par l'homme d'affaires égyptien Naguib Sawiris, via Media Globe Networks (MGN) qui en détient 60 %. Son siège mondial est à Lyon et les subventions de la Commission européenne assurent le tiers de ses recettes. 
En 2017, des actionnaires d'Abou Dabi sont entrés discrètement dans le capital de la chaîne.
En 2018, Euronews s'est rapproché de l'américain NBC News, entré dans le capital à hauteur de 25 %. A l'est de l'Europe, elle fait alliance avec un groupe albanais.
En 2018, son chiffre d'affaires (75,1 M€) a été largement soutenu par des recettes publicitaires provenant d'Abou Dabi.

CGTN  (China Global Television Network). Lancée en 2000, la chaîne appartient à CCTV, organisme de télévision publique chinoise dépendant directement du parti communiste chinois. Diffusée aux États-Unis et au Canada. En Europe, l'Ofcom, autorité britannique de régulation des télécommunications, a interdit la chaîne en février 2021 suite à de multiples plaintes liées au respect des droits de l'homme. Quelques jours après, la Chine, en guise de rétorsion interdit la diffusion de la BBC sur le sol chinois.
Pour contourner son interdiction, la CGTN a fait une demande d'autorisation au CSA qui, en mars 2021, a autorisé la diffusion de la chaîne.

AZUR TV, télévision locale de la région Nice, Marseille, Toulon, est aux mains de d'Iskandar Safa, après son échec à vouloir acquérir le quotidien Nice-Matin. Sa holding Pivdevmedias France contrôle également 6Medias agence de presse spécialisée dans les contenus d'information sur les supports numériques.


T.N.

(*) Source des chiffres de diffusion : ACPM)
Cette carte (décembre 2018) du paysage médiatique a été réalisée par Le Monde Diplomatique et le site ACRIMED

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