samedi 20 juillet 2019

Presse quotidienne régionale : l’été meurtrier

Plans sociaux, concentrations et mutualisations, la PQR (presse quotidienne régionale) en pleine mutation numérique connaît un été meurtrier. 



Sud Ouest, le groupe EBRA, la NRCO, Ouest France, Nice-Matin : la PQR dans la tourmente (dr)
Les dirigeants des groupes de presse n’ont plus le choix.
Ils multiplient les plans sociaux face à l’érosion du lectorat : 120.000 exemplaires en moins chaque année depuis plus de dix ans. Du fait de ses lecteurs vieillissants, le taux de renouvellement et de pénétration vers des jeunes urbains reste faible.
En 2018, la PQR ne diffusait plus que 4,4 millions d'exemplaires au lieu de 5,7 millions en 2010 et 7 millions en 1990. Une perte d'audience liée aussi à la concurrence des journaux gratuits et des chaînes d’infos en continu.
Un malheur n'arrivant jamais seul, la chute des recettes publicitaires (937 M€ en 2010, 583 en 2017) s'explique par le ralentissement économique et par l’invasion des GAFA et des réseaux sociaux.
Pour compenser les pertes abyssales de diffusion, la concentration et la diversification ne suffisent pas à colmater les budgets. 
Plus que jamais, la priorité est à la réduction de la masse salariale et aux économies d’échelle pour sauver les meubles.
Le « print » des rotatives mute enfin vers le digital et la monétisation des contenus après des années d’internet gratuit qui ont obéré la mise en place de nouveaux modèles économiques, de nouveaux services aux lecteurs privés de contenus à forte valeur ajoutée. 
Après la révolution des systèmes éditoriaux qui signa la disparition du pré-presse, toutes les rédactions ont vu leurs effectifs fondre. Rien de tel pour améliorer la productivité !
Devenus entièrement polyvalents et plurimédias, les journalistes précarisés, courent après Twitter et produisent désormais à la fois photos, vidéos, articles print et web. 
Les robots sont aux portes des open spaces...
Selon le journal en ligne Mediacités, au moins 108 agences locales de PQR ont dû fermer en dix ans, soit une perte de près de 10 % des effectifs de la presse quotidienne régionale... 
Le phénomène des concentrations s'est accentué en 2015, lorsque le groupe La Dépêche du Midi a acquis le groupe Midi Libre avec l'Indépendant, Centre-Presse Aveyron, La Nouvelle République des Pyrénées, Le Petit Bleu du Lot-et-Garonne. Les plans sociaux ont suivi avec150 emplois supprimés dans les deux groupes. 
En 2017, la Voix du Nord, troisième quotidien régional, a supprimé 132 postes et sa diffusion est tombée en 2018 à 200.987 exemplaires (- 2,14 % / 2017).
Côté rentabilité, les résultats restent calamiteux. 
En dix ans, le chiffre d'affaires global de la PQR a chuté de 20 %, rappelle le chercheur Jean-Marie Charon, dans le baromètre rendu public lors des Assises du journalisme 2019. (*)
Pour multiplier les abonnements numériques,  le dumping des tarifs empêche de consolider les trésoreries souvent exsangues et nombre de sites hésitent encore entre l'accès libre gratuit et l'offre premium payante. Et pour beaucoup de quotidiens, la sous-capitalisation rend impossible d’indispensables investissements.
Les multiples aides de l'Etat (fiscalité allégée, subventions pour la modernisation), système unique en Europe, n'empêchent pas qu’il faut budgéter les indemnités liées aux plans sociaux ou les clauses de cession...
A l'heure où certains rêvent d'un conseil de l'ordre pour mieux encadrer les journalistes, une bataille s’engage pour la survie de la presse écrite nationale, régionale et locale. 
En cet été 2019, particulièrement meurtrier, les mauvaises nouvelles s’accumulent, surtout pour la presse quotidienne régionale (PQR). 
Au total, plus de 700 emplois vont disparaître et moins de la moitié seraient créés...
Revue de presse... sinistrée : 

Sud-Ouest a annoncé le 10 juillet un plan de départs volontaires portant sur 132 postes dont 18 journalistes, applicable à l’été 2020. 
Son bureau d’Angoulême va fermer ce qui condamne l’édition de Charente, déjà ultra minoritaire, en concurrence directe avec le départemental La Charente Libre, autre quotidien du groupe.
En 2013-2014 une précédente restructuration avait supprimé 126 postes.
Le nouveau président du directoire, Patrick Venries, veut réduire la masse salariale des activités « papier » (fabrication, impression, distribution) et accélérer le digital, stratégie mise en route par son prédécesseur Olivier Gerolami qui a quitté le navire en mai dernier. 

Diffusion 2018 : Sud-Ouest 230.160 exemplaires (- 3 %). La Charente Libre 28.701 (- 3,37 %). La République des Pyrénées 27.008 (- 2,58 %). L'Eclair des Pyrénées - Pays de l'Adour 5.985 (- 4,21 %). La Dordogne Libre 4.893 (- 3,51 %).

Nice Matin, avec ses éditions Var Matin et Monaco Matin a connu le 29 juillet l'épilogue d'un long feuilleton qui rendait son avenir incertain. 
Le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, propriétaire de chantiers navals et de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, a finalement annoncé qu'il se retirait du dossier, laissant la voie libre à Xavier Niel, copropriétaire du Monde et fondateur de Free. (Lire ci-contre l'article, très complet, du Figaro)

Le quotidien était dans la tourmente suite au désengagement du groupe  belge Nethys, actionnaire minoritaire (34 %) depuis 2015.
En sauvegarde judiciaire depuis mars dernier, Nice Matin négociait avec Safa lorsque Niel est entré dans le jeu en juin. 
Le Figaro du 29 juillet 2019
Le 12 juillet, ce dernier annonçait l’acquisition des 34 % de Nethys avec un droit de préemption sur les parts de la SCIC. 
Le jour même, en assemblée générale, les personnels préféraient l’offre Safa alors que les journalistes optaient très majoritairement pour Niel qui a su les amadouer par la création d’une société des rédacteurs afin d'assurer l’indépendance de la rédaction.
Les salariés sont majoritaires à 66 %, depuis leur reprise de l’entreprise en 2014 via une SCIC.
L’AG avait également voté la dénonciation judiciaire du pacte d’actionnaires qui donne à Niel un droit de préemption pour un éventuel contrôle de 100 % du capital. 
Par sa décision, Iskandar Safa évite un délicat périple juridique qui aurait pesé sur l’avenir du quotidien soumis aussi aux aléas de la politique locale.
Xavier Niel est considéré comme proche de Macron, alors que Safa roule plutôt pour le député Eric Ciotti qui veut en découdre avec Estrosi , « Macron compatible », aux élections municipales. En lot de consolation provisoire Safa va entrer au capital de la télé locale Azur TV.

Diffusion Nice-Matin 2018 : 68.963 exemplaires (- 5,5 %).

La Provence a également annoncé fin juin le désengagement du groupe Nethys de son capital (11 %). 
Corse Matin a engagé au printemps un plan de suppression de 10 journalistes sur une soixantaine, suite aux décisions du nouvel actionnaire, l'armateur CM Holding, qui fin 2017 avait repris les 35 % d'actions détenues par Bernard Tapie.

Diffusion La Provence 2018 : 93.871 exemplaires (- 4,05 %)
Diffusion Corse Matin 2018 : 30.350 exemplaires (- 5,42 %)

Le groupe EBRA (Est, Bourgogne, Rhône-Alpes), propriété du Crédit Mutuel, a pour objectif de tripler ses revenus du numérique. 
Pour réduire ses charges, il a annoncé début juin la suppression de plus de 386 postes au 1er janvier 2021. 
La mutualisation de ses neuf quotidiens prévoit la création d’une entité prestataire centralisée (EBRA Services) qui permettrait de créer 284 postes. 
En 2018, une régie publicitaire commune avait été lancée et deux rotatives fermées au Républicain Lorrain et à L’Alsace. Déjà, au Dauphiné le plan de départs volontaires a été porté de 120 à 160 postes. Fin avril, la direction souhaitait un gel des embauches, à savoir le non remplacement par des CDD de 21 journalistes sur 40 partis dans le cadre de ce plan, contrairement à l'accord signé par la direction, l'Etat et les organisations syndicales. Motif : les mauvais résultats du début d'année.
Des départs volontaires sont aussi engagés au Journal de Saône-et-Loire et au Bien Public pour 47 postes sur 300, et au Progrès pour 77 postes sur 500.

Diffusion 2018 : Le Dauphiné Libéré + Vaucluse Matin 189.756 exemplaires (- 4,21 %), Le Progrès 166.605 (- 3,74 %), Les Dernières Nouvelles d'Alsace 136.786 (- 2,72 %), L'Est Républicain 114.212 (- 2,84 %), Le Républicain Lorrain 93.871 (- 4,05 %), L'Alsace 66.645 (- 3,51 %), Le Journal de Saône-et-Loire 47.019 (- 1,84 %), Vosges Matin 32.407 (- 3,69 %), Le Bien Public 36.271 (- 2,33 %).

Midi Libre a observé un débrayage d’une matinée le 29 mai dernier,  pour protester contre un plan prévoyant 25 mutations. 
Le quotidien a perdu 36 postes de journalistes depuis son rachat en 2015 par le groupe La Dépêche du Midi, dirigé par l'ancien ministre radical de gauche Jean-Michel Baylet, président de l'UPREG (Union de la presse en région, qui regroupe 64 titres à travers le syndicat de la presse quotidienne régionale, le SPQR, et le syndicat de la presse quotidienne départementale, le SPQD). 
Avec un chiffre d’affaires (73,7 M€ en 2018) en baisse de 3,7 M€ depuis deux ans, Midi Libre a vu ses ventes chuter de 18 % depuis 2014. 

Diffusion Midi Libre 2018 : 95.757 exemplaires (- 5,6 %). 

Le groupe Centre France (8 quotidiens, 10 hebdos régionaux), met aussi en oeuvre le « digital first », et annonçait début avril 2019 un plan de départs à La Montagne, pour « rajeunir la rédaction ». Le dernier plan de développement stratégique, lancé en 2013, intervenait déjà après la suppression de 250 emplois.
La Gazette de la Haute-Loire, le plus petit de la dizaine d’hebdos locaux du groupe, a cessé sa parution en avril 2018.

Diffusion 2018 : La Montagne 151.722 exemplaires (- 4,87 %). Le Populaire du Centre 31.074 (- 6,09 %). La République du Centre 29.062 (- 3;89 %). Le Berry Républicain 27.760 (- 3,76 %).  L'Yonne républicaine 24.647 (- 3,84 %). L'écho républicain 24.316 (- 5,72 %). Le Journal du Centre 22.174 (- 4,3 %). L'Eveil de la Haute-Loire 10.173 (- 3,22 %)

La Nouvelle République du Centre-Ouest (NRCO) dont Centre France est actionnaire (16 %) depuis 2009, a annoncé à l’automne dernier la suppression de 107 postes (dont 32 journalistes) d’ici quatre ans, pour réduire ses charges. 
Conséquences directes à cette nouvelle stratégie de repli : l'arrêt d'une des deux rotatives et la suppression d'éditions locales. Les effectifs passeront en dessous de la barre des 400. 
Centre France cautionne ce nouveau tour de vis, sans rajouter un euro au pot. 
Déjà, en 2009, un lourd plan social avait supprimé 181 postes, entraînant la fermeture de l’édition du Cher et la mutualisation avec Centre Presse dans la Vienne. En 12 ans, ce départemental racheté au groupe Hersant en 1996 a vu sa diffusion divisée par deux.

Diffusion 2018 : Centre-Presse 10.023 exemplaires (- 7,3 %)
NRCO 151.341 exemplaires (- 0,5 %). 

Le groupe Sipa/Ouest France domine la PQR avec cinq quotidiens, et 73 hebdos régionaux via sa filiale Publihebdos.
En 2018, son président, Louis Echelard (banquier qui a fait toute sa carrière au Crédit Mutuel de Bretagne) ne cachait pas son pessimisme  : 
Ouest France va perdre 80.000 exemplaires d'ici 2021 ".  
Une lourde réorganisation, annoncée il y a un an mais suspendue par la direction, devait supprimer 56 emplois moyennant une mutualisation des contenus, afin de réaliser 3,6 M€ d'économies
En supprimant 73 postes (pour en créer 17)  des agences locales du Maine-et-Loire et de la Sarthe devaient fermer, ces éditions reprenant les contenus du Courrier de l'Ouest et du Maine Libre. 
Dans le Maine-et-Loire, les deux tiers des effectifs disparaîtraient.
Les rédactions du Mans, de La Flèche et de Sablé seraient fermées et le bureau départemental transféré dans les locaux du Maine Libre
Dans le Finistère, où la concurrence du Télégramme est forte, il est prévu de réduire les moyens rédactionnels et d'adapter la pagination, tout en dynamisant le numérique.
A Presse-Océan, le bureau de Saint-Nazaire serait sacrifié pour ne pas faire d’ombre à Ouest-France.
D'ores et déjà, la mutualisation est amorcée : les pages du Courrier de L'Ouest seront montées à Ouest-France.
Par ailleurs, le gratuit et le site 20 Minutes, détenus à parts égales par Sipa-Ouest-France et le belge Rossel, a connu deux grèves les 23 mai et 10 juin pour "la revalorisation des salaires" et pour protester contre "le manque d'effectifs". Dans le même temps, Sipa/Ouest-France négocie une montée dans le capital de 20 Minutes.

Diffusion 2018 : Ouest-France 648.485 exemplaires (- 3,4 %). Courrier de L'Ouest 82.852 (- 3,62 %). Le Maine Libre 37.667 (- 2,97 %). Presse-Océan 26.880 (- 3,06 %). La Presse de la Manche 19.733 (- 2,62 %)

Dans les DOM-TOM, la version papier du quotidien France Guyane est menacée de disparition. Une option qui pourrait être privilégiée par l’administrateur judiciaire avant l’audience du tribunal de commerce de Fort-de-France, le 25 juillet. Le groupe France-Antilles (ex-Hersant), a été repris à 100 % il y a deux ans par la holding AJR Participations.

PQN : L'Huma en péril
Le Monde pavoise
Libé se sépare des seniors


Dans la presse quotidienne nationale, bonnes et mauvaises nouvelles se suivent :
L'Humanité a annonce début juillet la suppression de 41 postes (plus du quart de ses effectifs). 
Le quotidien communiste, en redressement judiciaire depuis février, est purement menacé de disparition.

Diffusion 2018 : 31.943 exemplaires (- 5,71 %).

Le Monde est devenu le premier quotidien national, annonce fièrement son directeur Jérôme Fenoglio sur sa page Facebook, " avec une très forte hausse de sa diffusion en mai " (324.471 exemplaires, + 12,17 % / 2018). Il détrône Le Figaro qui progresse aussi en mai (320.877 exemplaires, + 4,81 %) et qui occupait jusqu'alors la première place du podium annuel avec 309.492 exemplaires. Le Parisien - Aujourd'hui en France (groupe LVMH) régresse encore à 286.977 exemplaires (- 5,98 %)
Cette performance est acquise grâce aux Européennes et à la progression des abonnements numériques depuis plusieurs mois, confirmant la réussite de la mutation digitale. 
Une bataille capitalistique s’est aussi engagée cet été : Matthieu Pigasse et le nouvel actionnaire tchèque Daniel Kretinsky négocient le rachat des parts (20 %) du groupe espagnol Prisa dans le quotidien, au grand dam de Xavier Niel qui considère cette offensive comme une agression.

Libération chercher à réduire sa masse salariale en se séparant des seniors. D'après La Lettre A du 19 août, un "généreux chèque de départ " est proposé à ses salariés âgés de plus de 58 ans. Jusqu'à 25 personnes pourraient bénéficier du dispositif.
Diffusion 2018 : 67.238 exemplaires (- 10,68 %)

jeudi 4 avril 2019

Le Monde, premier quotidien en passe de réussir sa mutation numérique

Jérôme Fenoglio, qui dirige Le Monde, vante sur Facebook les bons résultats de la diffusion du quotidien, grâce au développement du numérique. Analyse d'une réussite programmée.


Avec 323.112 exemplaires diffusés et payés, le quotidien Le Monde enregistre une nouvelle fois en juin 2019 la plus forte progression des quotidiens français :  + 12,14 %. 
Son directeur, Jérôme Fenoglio, qui publie chaque mois cette performance sur sa page Facebook précise que sur le premier semestre 2019 vs 2018 la progression est de + 10,8 %.
Une progression de la diffusion France payée grâce à l'essor des abonnements numériques.
En décembre dernier, la DFP (Diffusion France Payée) marquait déjà une progression de 5 %. Pour la troisième année consécutive Le Monde pouvait déjà se réjouir fin 2018 d'un millésime positif à + 1,30 % avec 288.435 exemplaires, et se positionne juste derrière Le Figaro qui diffuse quotidiennement 309.492 exemplaires avec une progression moindre de + 0,51%.
La véritable deuxième place du podium est occupée par le couplage des éditions régionales du Parisien avec Aujourd'hui en France, (groupe LVMH) également en baisse de - 7,02 % avec 301.447 exemplaires.
Aujourd'hui en France  seul, plonge à - 10,11 % pour 108.025 exemplaires. 
Ces résultats incontestables, contrôlés par l'ACPM (L'alliance pour les chiffres de la presse et des médias), méritent d'être soulignés alors que plusieurs titres sont loin de pouvoir pavoiser en cette période pourtant riche en actualité politique et sociale (crise des Gilets Jaunes, élections européennes) avec la perspective des municipales en mars 2020. 
On notera la remarquable performance du quotidien sportif L'Equipe (groupe Amaury) qui avec 249.875 exemplaires progresse de + 6,38%.
Les Echos (groupe LVMH) affichent 129.089 exemplaires avec une légère progression de + 0,56 %.
Libération (groupe Altice-Drahi) avec - 10,68 % régresse à nouveau et sa diffusion est passée sous la barre des 70.000 exemplaires avec une moyenne quotidienne de 67.238 exemplaires...

Un Libération qui jouait le 24 mars dernier la carte de la confraternité avec Le Monde en titrant  : Numérique : le grand soir du Monde.
Son spécialiste médias Jérôme Lefilliâtre soulignait que "le cas du quotidien français illustre un bouleversement historique dans la presse quotidienne. Le secteur change de modèle économique. Hier, il tentait de vendre des exemplaires papier chaque jour. Aujourd'hui, il essaie de commercialiser des abonnements numériques payés au mois ".
Les abonnements numériques auraient une rentabilité de 5 à 10 % supérieure à celle des abonnements papier. Ainsi, pour son exercice 2018, la Société éditrice du Monde reste déficitaire de seulement 775.000 € avec un bilan en progression de 6,3 % entre 2017 et 2016.

Philippe Jannet, ancien PDG du Monde interactif de 2008 à 2012, dans un commentaire du post de Fenoglio, rappelle la genèse de la stratégie numérique du quotidien du boulevard Auguste-Blanqui   : " Elle avait démarré sous Bruno Patino (DG du Monde interactif de 2000 à 2003 puis PDG de 2003 à 2008) sous la responsabilité de Jean-Marie Colombani "(alors directeur de la publication puis président du directoire du groupe de 1994 à 2007).
A l'origine, le site lemonde.fr lancé fin 1995 proposait des dossiers en ligne, la Une du quotidien et avant 17 h l'intégralité du journal... Il précise que Louis Dreyfus n'a pris la direction du Groupe Le Monde (*) qu'en décembre 2010, lors de l'arrivée du trio Bergé-Niel-Pigasse.
Déjà, le titre comptabilisait 20.000 abonnés numériques. Un résultat obtenu grâce à un accord qu'il signa en février 2010 avec Apple. Le Monde lançait dès cette époque l'abonnement triple play (web, iPhone, iPad) qui a véritablement permis de développer l'abonnement à lemonde.fr. Un accord validé par Eric Fottorino, à la tête du Groupe Le Monde, de 2007 à 2011.
Dès septembre 2007, Le Post.fr avait également servi de laboratoire. Ce site était une émanation du Monde interactif, avec une filiale commune des groupes Le Monde et Lagardère. 
Cofondé par Benoît Raphaël il reposait sur un principe collaboratif de contributeurs non rémunérés.
En 2009, l'OJD attestait de plus de 7,5 millions de visites mensuelles.
Fausses infos et rumeurs eurent raison de l'équipe de modérateurs et l'expérience sera interrompue en janvier 2012. Professionnalisé, le site deviendra Le Huffington Post, propriété à 51 % de la maison mère américaine, à 34 % par Le Monde et à 15 % par Les Nouvelles Editions Indépendantes, holding créée en 2009 par Matthieu Pigasse.
Cinq ans après son lancement, Le Huff - dirigé jusqu'en 2017 par Anne Sinclair - a passé le cap des 10 millions de visiteurs uniques selon Médiamétrie.

Merci l'Etat !

Les aides à la presse de l'Etat ont également largement contribué à la consolidation de la stratégie numérique du Groupe Le Monde.
Depuis 2012, grâce au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), successeur du Fonds d'aide à la modernisation, les groupes bénéficient de mannes énormes, mais Le Monde a mieux su défendre ses intérêts que d'autres. L'analyse des bilans du FSDP le prouve :

2015 : le Groupe Le Figaro obtenait 1,2 M€ soit 12 % du total attribué par le fonds, pour trois projets concernant la presse en ligne.
Le Groupe Les Echos 703.083 € (6,8 % du total attribué).
Le Groupe Le Monde 609.099 € (6% du total) dont 355.186 € (3,5 % du total) pour le bi-médias Le Monde et lemonde.fr.
Alors que Le Figaro développait son projet Hermès (refonte globale de l'architecture informatique et intégration des contenus publicitaires) et son portail de ventes numériques, Le Monde innovait dans le déploiement de la donnée (data), afin de permettre de rédiger des articles enrichis, intégrant davantage d'infographies, et de stocker les données sur une plateforme unique.  

2014 : Avec 12 projets aidés le Groupe Le Monde décrochait 2,24 M€. Seulement 2 projets concernaient le papier (251.700 €) alors que le Monde interactif obtenait 1.057.863 € (4,6 % du total) et se trouvait en tête des aides pour la presse en ligne.
Suivait lequipe.fr (912.437 €), lhumanité.fr (533.095 €), lefigaro.fr  (426.970 €), leparisien.fr (255.826 €).
Pour le bi-médias Le Monde et lemonde.fr obtenaient 232.669 € supplémentaires.

2013 : Le Monde interactif arrivait déjà en tête des aides pour la presse en ligne avec 766.318 € (7,89 % du total attribué), suivi par Le Parisien (560.985 €), Le Figaro (502.597 €), Libération (381.540 €).

Au chapitre des innovations, le domaine de la publicité n'est pas en reste.
En 2017, Le Monde et Le Figaro n'ont pas hésité à braver leur concurrence pour s'associer en lançant Skyline. Objectif : une plate forme commune d'achat de publicité numérique pour contrer Facebook et Google.
Une initiative que Daniel Kretinsky, le nouvel actionnaire tchèque, a dû apprécier. Dans un entretien aux Echos, début novembre 2018, il déclarait vouloir agir contre les GAFA : " Je pense que les médias ont un combat à mener sur la régulation des GAFA. Certains exercent une concurrence sauvage aux médias standards et d'autres captent beaucoup trop de la valeur ".

Numérique européen

Ailleurs en Europe, le virage numérique des quotidiens est devenu réalité.
La progression numérique du Monde rappelle fortement l'évolution de la presse quotidienne britannique.

The Guardian avait vu sa diffusion se réduire considérablement  passant de 358.844 exemplaires en 2009 à 207.958 exemplaires en 2014 et 152.714 en 2018.
Avec le lancement d'un nouveau site en 2015, il reste l'un des plus lus avec plus de 150 millions de visiteurs uniques par mois, grâce à un lectorat au deux tiers mondialisé.
En 2018, pour la première fois de son histoire, les revenus du numérique ont dépassé ceux issus du papier : 108,6 M£ pour 107,5 M£, relève Les Echos (25.08.2018).

The Independant n'a pas hésité, en mars 2016, à mettre fin à son édition papier, tombée à 56.000 exemplaires. La diffusion qui était de 428.000 exemplaires à la fin des années 80 n'était plus que de 200.000 exemplaires au début des années 2000.
En 2010 le quotidien sera racheté pour une livre symbolique par le milliardaire russe et ancien agent du KGB Alexander Lebedev...

Autres exemples du virage numérique : 
El Païs le quotidien espagnol du groupe Prisa, est actionnaire du Monde à hauteur de 15 %.
En 2016, pour son 40e anniversaire, il annonçait 16 millions de visiteurs uniques pour elpais.com.
La progression de l'audience en ligne était de 44 %. Impérativement, il fallait enrayer la chute des ventes en kiosque et par abonnement du quotidien, passées de 224.551 exemplaires en avril 2014 à 145.191 en 2018, soit - 35 %.
En juillet 2018, Soledad Gallego-Diaz, la nouvelle directrice du quotidien nommée à la suite des mauvais résultats du journal, déclarait à l'AFP : "Je pense qu'à l'avenir, d'une façon ou d'une autre, les lecteurs sur internet devront payer à un moment donné, devront se dire que cela ne peut pas être totalement gratuit. Mais pour le moment le journal n'a pas l'intention immédiate de faire payer les contenus. C'est seulement un projet "...
Moins d'un an plus tard, l'abonnement papier est proposé à 31,50 € par mois et l'abonnement numérique à 11,99 € !

Le Matin quotidien suisse du groupe Tamedia, a abandonné le papier le 21 juillet 2018, après 125 ans d'existence, pour devenir 100 % numérique, mais il conserve pour l'instant son édition papier Le Matin Dimanche.
41 emplois ont été supprimés dont 24 journalistes.
Déjà, en 2017 le journal accusait 6,3 M de francs suisses de pertes.
C'est le premier quotidien suisse à sauter le pas (Tamedia édite aussi 24 heures, la Tribune de Genève et Bilan, en Suisse romande. En 1993, le quotidien La Suisse disparaissait).

Thierry Noël-Guitelman


Le classement 2018 des quotidiens nationaux (source ACPM)
(*) Le Groupe Le Monde a été fondé en 2003 suite à la prise de contrôle des Publications de la Vie Catholique (PVC). Ses autres filiales sont Télérama SA, Malesherbes Publications, Les Publications historiques et Sper.
La holding Le Monde Libre, constituée en 2010, possède 64 % du capital.
Elle appartient à Xavier Niel et Matthieu Pigasse (qui ont racheté à son décès, les parts de Pierre Bergé), et au groupe espagnol Prisa. Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky a racheté 49 % des actions de Matthieu Pigasse en octobre 2018.
Parmi les actionnaires minoritaires : à hauteur de 19 %, la holding Le Monde partenaires et associés (LMPA), détenue à 52 % par la Société des rédacteurs du Monde, la Société civile des personnels des PVC (magazines) et l'association Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien en 1944. A 48 % par des actionnaires externes (dont la Société des lecteurs, Le Monde Entreprises, InvestMonde).
A hauteur de 15 % par Le Monde indépendant.

LMPA édite Courrier International, Le Monde Diplomatique (51 %) et sa revue bimestrielle Manière de Voir, La Lettre de l'Education, lancée le 5 février 2019, adressée aux abonnés par courriel.
Malesherbes Publications édite La Vie, Le Monde des religions, Sens & santé, Prier, Les Clés de la foi, Ecritures, Le Guide Saint Christophe.
Sper édite le mensuel Danser

Le groupe possède 94,7 % de la Société éditrice du Monde (SEM) qui gère le quotidien et l'imprimerie.

Participations minoritaires : 34 % de Timbres Magazine, 6 % du groupe Perdriel qui édite l'hebdomadaire L'Obs (propriétaire du pure player Rue89), le mensuel Sciences et Avenir et le news magazine Challenges, 5 % des éditions de La Vie du Rail, 2,1 % du quotidien Suisse Le Temps, 10 % du quotidien régional L'écho du Centre, 9 % des éditions de Témoignage Chrétien (lettre, mensuel et site), 34 % du pure player Le HuffPost.

En 2005, Le Monde prenait le contrôle des Journaux du Midi (Midi Libre, L'Indépendant, Centre Presse) en rachetant les 15 % de participation du groupe Sud Communication. En 2007, après l'échec de la création d'une holding avec les quotidiens du sud-est alors détenus par Hachette Filipacchi Médias (Lagardère), les Journaux du Midi sont revendus pour 90 M€ au groupe Sud-Ouest, qui, en 2015 les recède au groupe La Dépêche pour 15 M€.

Lire aussi : Au Royaume-Uni, la presse quotidienne se repense sur l'internet
La presse écrite face au défi du numérique, par Dominique Greiner (2010)
Presse et numérique : l'invention d'un nouvel éco-système, par Jean-Marie Charon (2015)
ARTE : vers un monde sans papier

TOUTE L'ACTU DES GROUPES DE PRESSE ET D'AUDIOVISUEL

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