mardi 18 avril 2023

ANNIVERSAIRE

Libération a un demi-siècle !


Le mercredi 18 avril 1973, sortait le n°1 du quotidien Libération. En réalité, un énième « numéro zéro » diffusé par les réseaux militants de l’époque. Le titre finira par apparaître dans les kiosques le mardi 22 mai 1973, portant le numéro 12.


L'aventure avait commencé quatre mois plus tôt le 4 janvier 1973 dans une conférence de presse sous la présidence du philosophe Jean-Paul Sartre (1905-1980). 
Philippe Gavi, Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Vernier, 
Serge July et Jean-René Huleu, lors de la conférence 
de presse de présentation, à La Maison Verte (Paris 18e).

Un appel sera lancé à la profession pour attirer des journalistes mais il restera pratiquement sans écho.
Une souscription nationale piétinait et il faudra recourir à des prêts bancaires.
Sartre multiplie alors les interviews annonçant que " Libération (sera son) dernier combat ". Proche des militants maoïstes, il avait soutenu dès l'automne 1972 la création de l'APL, l'agence de presse Libération qui commençait à diffuser des informations dans les rédactions de "la presse bourgeoise"...

Le 5 février 1973, Libération publie un premier numéro  sur 4 pages (ci-contre en couleur verte), imprimé à 80.000 exemplaires mais sa mise en vente dans les kiosques sera annulée au dernier moment... Un numéro complètement raté tant sur la forme que le contenu.
Le 19 mars, après une réunion tenue à Lyon à la demande de relais régionaux, un texte signé par 29 membres de l'équipe dénonce "l'absence de démocratie dans le journal"...
De nouvelles structures sont proposées avec un plan de relance et une publication quotidienne sur 8 pages pour rôder la rédaction. 

Le 18 avril, le n°1 sort dans les kiosques accompagné d'une campagne publicitaire sur RTL.
Le 22 mai, l'impression passe à 90.000 exemplaires.
Le 22 juin, Sartre annonce que le journal interrompra sa parution du 29 juin au 17 septembre. " Ceci n'est dû ni à une faillite ni au départ en vacances de l'équipe mais au fait que sans publicité, ni banque derrière lui, Libération ne peut survivre que grâce à la subvention publique et qu'il n'a pas financièrement les reins assez solides pour paraître pendant l'été ".
Le 17 septembre, le journal reparaît et il faudra une nouvelle souscription auprès des lecteurs. 
Le 10 décembre, dans un article intitulé " Pour un journal libre ", Libération annonce 48 millions de francs de dettes.
Maurice Clavel, engagé depuis le premier jour et encore auréolé de son fameux "Messieurs les censeurs bonsoir" se veut rassurant dans Le Nouvel Obs : " Ce n'est pas le début d'une quête perpétuelle". 
Fin décembre la souscription commence à prendre de l'ampleur.
Dans une tribune du Monde du 25 décembre, Sartre, Philippe Gavi, Serge July, et Bernard Lallemand (directeur financier), sous le titre Pour un peu de liberté confirment que "tous expriment leur besoin d'un journal nouveau, d'une parole nouvelle" (...) "chaque somme que vous enverrez, aussi modeste soit-elle, représente un peu de liberté ".

Les mois passent... Les débuts sont très chaotiques. 
Le 24 mai, Sartre démissionne suite à des désaccords avec Serge July qui devient directeur de la publication.
Une nouvelle alerte financière est lancée. July expliquera dans Le Monde que Libération n'est pas sorti dans les kiosques le 30 septembre 1974 faute de crédits suffisants ". Il faut 77 millions pour reparaître...
De nouvelles crises financières suivront mais le quotidien refuse toujours la publicité, au nom de son indépendance.
Le 24 février 1981, la parution est à nouveau suspendue. Le journal reparaît, après un plan de licenciement, le 13 mai, soit trois jours après l'élection de François Mitterrand à la Présidence de la République.
En 1994, pour survivre, il sera fait appel pour la première fois à un gros actionnaire privé : le groupe Chargeurs, de Jérôme Seydoux, à hauteur de 65 %.
Suivront, Édouard de Rothschild en 2005, Bruno Ledoux en 2012, Patrick Drahi de 2014 à 2020. Libération devenant alors une société à but non lucratif mais, en 2022, le magnat tchèque Daniel Kretinsky vole à son tour au secours du quotidien toujours en dessous du seuil de rentabilité, avec un prêt de 14 M€.
L'aventure se poursuit.

T.N.


LES ACTIONNAIRES DEPUIS 30 ANS

1994 : Libé doit faire appel à un actionnaire pour continuer d’exister après plusieurs crises financières et plans de licenciements. Le groupe Chargeurs de Jérôme Seydoux prend 65 % du capital (se désengagera en 2000). 2001 : la société de capital risque britannique 3i Groupe PLC (qui accompagne 400 entreprises en France) prend 20,8 % du capital. 


2004 : Edouard de Rothschild entre au capital (38,8 %) par l’apport de 20 M€ et Louis Dreyfus devient DG. 2006 : cessation de paiement avec 7 M€ de pertes au lieu de 2,5 prévues. Le journal diffuse alors 142.000 exemplaires / jour avec 200.000 internautes. E. de Rothschild exige le départ de July et de Dreyfus. Ils sont suivis par plusieurs journalistes (clause de cession) avant le retour de Laurent Joffrin, nommé président du directoire, parti en 1988 au Nouvel Obs. Il y retourne en 2011. De 2010 à 2011, Libé renoue avec les bénéfices. 

Nicolas Demorand (né en 1971, ENS Saint-Cloud, agrégé de lettres) est nommé à la direction. Contesté suite aux suppressions des éditions locales de Lille, Strasbourg, Rennes et Orléans, il est l’objet d’une motion de défiance des personnels. Il démissionnera le 13 février 2014 pour rejoindre France Inter. Depuis 2017, il coprésente la matinale avec Léa Salamé.



La Une du 9 septembre 2022
pour la mort de la reine Elizabeth II


2012 : Bruno Ledoux, déjà propriétaire du siège rue Béranger (3e), devient l’actionnaire de référence. BLHM Bruno Ledoux Holding Media (26,64 %) investit 7,6 M€.


2014 : Edouard de Rothschild se désengage et Demorand démissionne le 13 février (et rejoint la matinale de France Inter qu’il animait déjà de 2006 à 2010). Pierre Fraidenraich, ancien directeur chez Canal+, proche de Ledoux, arrive au poste de « directeur opérationnel ». Pour éviter le dépôt de bilan, BLHM augmente le capital à 18 M€. Un plan accepté par le tribunal de commerce le 28 avril 2014. Le projet de relance prévoit la fusion des rédactions web et papier. Bruno Ledoux annonce le retour de Joffrin et l’arrivée de Patrick Drahi qui investit 14 M€. Ils forment une holding commune : la SAS Presse Media Participation Holding (PMP Holding 50 % BLHM - 50 % représentant P. Drahi). 93 emplois sont supprimés à la rédaction. 


2015 : « Libération était un quotidien qui publiait une version numérique. Libération sera un site qui publie un quotidien », annonce Joffrin fin mai. La rédaction est réorganisée selon le principe du « web first ». 

Déménagement au 23 rue de Châteaudun (9e) dans l’immeuble d’Altice Media Group. 2017 : installation au 2, rue du Gal Alain de Boissieu (15e) dans l’Altice Campus et SFR Presse. 


2020 : Libération sort du groupe Altice et constitution du Fonds de dotation pour une presse indépendante.


2022 : Daniel Kretinsky renfloue le journal et Serge July revient comme simple chroniqueur-billettiste.



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Un premier journal Libération a été publié dans la clandestinité en 1941 à l’initiative du mouvement de résistance de Libération Sud avec Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Lucie et Raymond Aubrac. À l’été 1944, il tirait à 200.000 ex. Il devient quotidien le 21 août 1944. En 1948, le tirage est tombé à 150.000 ex. Les divisions politiques, entre PCF et gaullistes achèvent son déclin. La publication s’arrête en 1964.

 

TOUTE L'ACTU DES GROUPES DE PRESSE ET D'AUDIOVISUEL

Une bonne connaissance de l’actualité des médias  est indispensable pour celles et ceux qui veulent devenir journalistes.   Le contexte de p...