vendredi 24 février 2017

Sur Internet, l'info n'aurait jamais dû être gratuite

Dès 2009, Rupert Murdoch décide la fin de la gratuité de l'actualité sur le Net. Une décision bien tardive, après des années d'habitude de lecture gratuite.

Avec une perte annuelle de 3,4 milliards de dollars (contre un bénéfice de 5,4 milliards en 2007), le magnat des médias décide de faire payer les lecteurs de ses journaux en ligne : New York Post, Wall Street Journal, The Times, The Sun.
En 2011, il lance "The Daily", le premier quotidien sur iPad (budget de lancement 30 M de dollars) : Fin 2012, l'expérience est arrêtée car l'audience du journal n'a jamais décollée (100 000 abonnés lors de l'arrêt soit 5 fois moins que le seuil de rentabilité).

En France, l'aventure des "pure players" constitue une nouvelle forme de concurrence, stimulante pour la presse écrite, misant beaucoup sur l'investigation. Les modèles économiques restent fragiles. Pas simple de faire payer le lecteur après des années de gratuité sur Internet, et une valeur ajoutée nulle des sites des quotidiens.

Pour les dix ans à venir, voici la prévision de Jean-Marie Charon
"La monétisation de l’information est la réponse tant au reflux publicitaire qu’à la gratuité. Dans la mesure où toute information disponible partout a vocation à être gratuite, il n’est d’autre argument pour convaincre un public habitué à cette gratuité que de lui proposer de l’original, du singulier, de l’enrichi. Les stratégies basées sur l’abonnement sont vouées à l’échec avec une offre inchangée. L’enjeu est de concevoir, expérimenter, et développer une information à valeur ajoutée, crédible, compétente, face à un public exigeant, critique, demandeur, prêt à la financer." (page 19 du livret (S')INFORMER DANS 10 ANS édité à l'occasion des Assises 2017 de la presse à Tours)

> Mediapart est fondé en 2008. Equilibre financier à l'automne 2010. 118.000 abonnés en 2016.
L’accès à la page d’accueil est gratuit mais la lecture du journal lui-même n’est possible que par abonnement payant. L’adhésion payante est conçue comme le seul moyen de garantir au lecteur qualité éditoriale et véritable indépendance.

Bakchich info (2006) papier. Fin 2009, dépôt de bilan. Eté 2011, relance du site Internet.

Rue89 (2007) par des anciens de Libé. Supprime en 2012 son édition papier lancée en 2010. 
2011 rachat par L'Obs.
2016 ouverture d'un guichet de départs pour une quarantaine de journalistes. 
2017 Presse News annonce la fin du site et un montant cumulé de pertes de 45 M€.

Pour en savoir plus : Rue89, onglet désincarné (Libération 4.03.2016)

> Slate.fr (2008). Fin juin 2017, à la faveur d'une augmentation de capital, Slate est entièrement contrôlé par Benjamin et Ariane de Rothschild. Via la société Cattleya Finance, domiciliée au Luxembourg, ils ont injecté 1,15 M€ dans la société éditrice. A terme, grâce à deux nouvelles capitalisations, leur investissement sera de 2,15 M€. Le couple est à la tête de la banque suisse Edmond de Rothschild.
La rédaction devrait être réduite de 12 à 7 journalistes, avec une nouvelle formule faisant davantage appel à des pigistes. Le modèle économique ne devrait pas changer, en accès libre.
Jusqu'alors Benjamin de Rothschild contrôlait 29 % du capital. La Financière Viveris 22%, (fonds qui utilise la déduction de l'ISF des investissements dans les PME), leWashington Post 15 %. Les fondateurs Jean-Marie Colombani, Eric Leser, Eric Le Boucher et Jacques Attali) détenaient 25% du capital. 
Plus de 10 M€  ont été investis entre 2008 et 2016.

Atlantico (2011). Devenu payant en 2014, l'accès gratuit est limité. Talmont Média, société éditrice, dirigée par Jean-Sébastien Ferjou va supprimer 5 postes de journalistes (Press News janvier 2017)

The Huffington Post (2012). A 51 % par la maison-mère américaine, 34 % par Le Monde et 15 % par le banquier Matthieu Pigasse.


Presse écrite : les avantages fiscaux des holdings

Pour quelles raisons des industriels, souvent bien loin de la presse, décident d'investir dans ce secteur en péril ?

Jean Stern dénonce les astuces fiscales
Le modèle économique de la presse française remonte à la Libération avec nombre d'entreprises familiales issues de la Résistance. 
Sur les ruines de la presse "collabo", un partage s'est fait entre gaullistes, socialistes et radicaux, et les communistes. 
Aux premiers les rédactions, aux seconds les imprimeries, et la distribution.
Pour survivre, la presse s'est modernisée à partir des années 80. Des investissements énormes ont été réalisés dans l'imprimerie mais au lieu de mutualiser ses moyens, chaque groupe s'est retrouvé avec des usines pharaoniques, des tirages en baisse, mais des emprunts à rembourser...
Le syndicat du Livre CGT a tenu tête au patronat qui, pour avoir la paix sociale, a accepté augmentations de salaires, primes, multiplication des équipes et la règle du fini-parti.

Aujourd'hui, l'acquisition d'entreprises déficitaires passe par des holdings où l'investissement peut devenir très rentable en raison de mécanismes d'intégration fiscale.

Les bénéfices de certaines sociétés du groupe sont compensés par les pertes d’autres sociétés du même groupe. Ces pertes viennent en déduction des impôts de leurs propriétaires : "Les hyper-riches ont tout simplement couché la presse dans une niche fiscale" écrit Jean Stern dans " Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais ! " (La Fabrique, 2012).

Exemple : En rachetant les magazines de l’ex-groupe Express-Roularta, avec un passif de plusieurs centaines de millions d’euros, le groupe Altice médias a pu minorer ses bénéfices, réalisant ainsi des économies fiscales. On notera que la société mère est installée à Panama, un des plus importants paradis fiscaux et judiciaires...
Les journaux du Groupe Altice Média (GAM), achetés par Patrick Drahi en son nom propre pour moins de 40 M€, lui ont par ailleurs permis une confortable plus-value, ces titres ayant été valorisés pour 243 M€.

Le taux de TVA fait polémique

Lors de sa conférence de presse du 6 février 2017, François Fillon, en pleine tourmente du « Pénélope Gate » a accusé le «  tribunal médiatique » qui cherchait à l'abattre. 
A une question posée par une journaliste de Mediapart, il a répondu par une autre question : « Vous êtes de Mediapart, c’est ça ? Moi je n’ai jamais eu de redressement fiscal, je vous le dis au passage. Oui, il y a des choses parfois qui doivent être dites ».
François Fillon faisait allusion au redressement fiscal de 4,1 M€ auquel Mediapart a été astreint pour s’être autoappliqué entre 2008 et 2014 un taux réduit de TVA, alors réservé aux journaux et périodiques imprimés.
La presse imprimée bénéficie en effet d’un taux de 2,1 % (au lieu de 19,6 %) et certains éditeurs de presse en ligne se sont appliqués ce taux privilégié jusqu’en février 2014, quand la loi française a entériné ce taux contrairement à la volonté de Bruxelles. 
La loi n’étant pas rétroactive, l’administration n’a pas mis fin aux redressements fiscaux engagés contre plusieurs pure players.

Presse & Médias : La puissance des groupes de presse

P rincipal reproche fait aux grands groupes : la concentration des médias entre les mains de quelques uns. Des empires industriels qui n’ont...