jeudi 15 mars 2018

Mes années Hersant : 1975-1984

Mes premiers pas dans la presse écrite se feront au groupe Hersant. 

Une aventure humaine et une révolution informatique à la fin des années 70.

Ma carte de presse encore en papier cartonné 
n° 38.013 de juin 1976
En septembre 1975, je quitte Paris pour Dreux, sous-préfecture d'Eure-et-Loir, à 50 km de la capitale. 
Dans cette ville paisible, règne le maire centriste Jean Cauchon (1913-1991) également Questeur du Sénat. Un notable affable, élu en 1965, qui succéda à l'UDSR Georges Rastel, ancien préfet, "héritier" politique de  Maurice Viollette, député-maire et ministre du Front Populaire, fondateur en 1902 de L’Action Républicaine.
Une semaine seulement après avoir envoyé ma candidature à ce petit bi-hebdomadaire  du mardi et du vendredije suis embauché... 
C’était le plein emploi ! 
Ce premier journal aura été pour moi une véritable école. 
Il était dirigé par Christian Renet, ami d’enfance de Jacques Hersant
J'y retrouve Francisque Oeschger, mon collègue de France Culture, qui s'initiait à la presse écrite. 
En novembre 1975, il nous annonça partir aux obsèques de Franco... Je ne l'ai jamais revu mais, malgré nos différences idéologiques, on s'estimait mutuellement.

Le 1er juin 1976, j’obtiens ma première carte de presse de stagiaire n° 38.013, pour devenir titulaire en 1978.

Une carte dont le format sera réduit d’un quart en 1997 pour ressembler à une carte de crédit en plastique ! 
Une carte mythique qui, outre le privilège de la niche fiscale – un abattement de 7.650 € pour frais – permet d’entrer gratuitement dans les musées !
1978 : la mythique rédaction de L’Action, 
place Doguereau à Dreux : machine à écrire 
à ruban et Rolley Flex 6 X 6 sur le bureau  (photo Didier Leplat)
L'Action avait été rachetée à Viollette en octobre 1959 par le groupe Hersant (lire Presse-Actualités). 
En concurrence avec les quotidiens départementaux L’écho républicain et La République du Centre, elle sera vendue en 2007 au groupe Publihebdos qui supprimera l’édition drouaise en janvier 2010. Seule l’édition nogentaise sera conservée, fondue avec Le Perche et L’écho de la Sarthe.


Henri Morny (décédé subitement en juillet 1997), dirigea le « caneton », de 1962 à 1974. 
Conseiller municipal radical, franc-maçon, ce très proche de Robert Hersant, devenu directeur du développement et de l’international au Figaro, avait converti L'Action en laboratoire d’essais des nouvelles technologies du groupe de presse, alors le plus influent en France.
Henri Morny 

Dans le coffre de sa grosse voiture américaine, qui passait tout juste le portail, il trimballait toujours du matériel, rapporté des « States ». 
Moustache à la Brassens, gros verres de myope, bouffarde à la bouche, costard invariablement froissé, celui que l’on surnommait amicalement « Nounours », débarquait à n’importe quelle heure en grognant mais il se savait toujours attendu pour que l’on apprivoise une nouvelle machine.
Dès 1977, j’ai pu tester les premiers ordinateurs portables, rapportés de la rédaction de France Amérique à New-York. 
Le fameux Silent Writer 700 de Texas Instruments changea radicalement la pratique journalistique.

Grâce à son coupleur acoustique, il suffisait de raccorder un combiné téléphonique pour transmettre ses articles (à la vitesse de 300 bits/seconde !) sur une ligne ordinaire. 


Le Silent Writer de Texas 
Instruments : une révolution !
Une révolution pour les agences de Nogent-le-Rotrou, La Loupe et Châteaudun, qui jusqu’alors n’échappaient pas à la double saisie : frappe du rédacteur, fax, et composition par des clavistes qui passaient allègrement des annonces légales à un compte rendu de conseil municipal… 
Quant aux pellicules photos, la transmission numérique n'existant pas encore, elles remontaient à Dreux par plis transportés via les cars des "Courriers Beaucerons"... comme au temps des diligences !

A partir des années quatre-vingt, les « Underwood » et autres « Olivetti » prendront la poussière sur des étagères… 
C’est en 1989, seulement douze ans plus tard, qu’arriveront sur le marché des portables plus légers comme l’Atari Portfolio. Un « ordi » très prisé des journalistes sportifs en déplacement. Terminé le coup de téléphone à la sténo pour saisir les compte-rendus !  
Ces expérimentations n’auraient pas été possibles sans l’esprit d’innovation et de polyvalence qui soufflait à L’Actionsous les directions de Morny, et de son successeur Christian Renet.
M. Vaschalde et T.Noël en 1976 
(photo Didier Leplat)
Il y régnait un esprit distillé de longue date par Michel Vaschalde, pilier de la rédaction et vieux complice de Morny à L’Oise Matin
Radical de gauche, originaire de Nîmes, il s'était formé sur le tas, au Provençal, à Midi Libre, Radio Montpellier et France Antilles Martinique.  

A 31 ans, en 1960, Hersant l’envoya à Nogent-le-Rotrou pour fusionner L’Action et La Liberté du Perche
A la demande de Jean Miot il terminera sa carrière à Nord Matin.
Victime d’un cancer du poumon, c'est au cimetière de Dreux, en mai 1982 que Morny prononcera son éloge funèbre devant une foule d’amis et de confrères.
Michel Vaschalde était omniprésent sur le terrain. 
Entre deux articles, son indispensable café-calva puis son « Jaune » de 11 h siroté au bar du 
« Bon Coin », le cendrier débordant de mégots froids sur le bureau, il réalisait les maquettes des pages, supervisant leur montage à l’atelier. 
Le "piano" de la composeuse 7500 de Compugraphic


Accessoirement, il se mettait au « piano » de la composeuse pour assurer, du fait des fréquentes pannes informatiques, l’indispensable sortie des bromures permettant le montage, après encirage !

Une ambiance familiale régnait dans ce journal : au guichet de l'accueil, Odile Grosselin (ma compagne jusqu'en 1983) et Armelle Lahitte-Morel.
Au service pub, Max Godet Laloi, avec sa grosse Mercedes, sa secrétaire "Mimi" et son inséparable mégot. 
A la correction Mme Lequertier. Aux abonnements, Mme Boheas mais aussi la comptable aux cheveux gris, secondée par Christiane Rosse, et Christine, la secrétaire de direction aux petits soins du patron ; la femme de ménage, Mme Hersant, que Morny avait embauchée, jusqu'à ce qu'un cancer l'emporte dans les années 80...
Sept années durant, j’ai vécu cette passion partagée d’un métier en pleine mutation, tâtant même du multimédia avant l'heure, grâce à l'exceptionnelle caméra Paillard-Bolex
Un matériel idéal pour assurer des correspondances de télévision régionale.
En 1977 et 1978, la station de FR3 étant basé à Orléans, il était hors de question d'envoyer une équipe à 120 km, jusqu'à Dreux. 
Il me revenait de « faire des images » et d'envoyer le film par  la navette de cars ! Le " red chef " Christian-Marie Monnotsignait à l'arrivée mon ordre de mission, qui me permettait d'être payé !

En cette fin des années soixante-dix, la chronique locale de Dreux, était aussi une aventure épanouissante et passionnante :

En 1978, j'ai accueilli à la rédaction Daniel Cordier
Ancien secrétaire de Jean MoulinCompagnon de la Libération, il débuta un an plus tôt un lent travail de réhabilitation de la mémoire du chef de la Résistance. Ses recherches historiques,  monumentales, aboutiront en 1989 avec la publication de son "Jean Moulin - L'inconnu du Panthéon" (Jean-Claude Lattès) qui changèrent le regard sur le mythe de la Résistance, révélant les rivalités politiques qui conduisirent sans doute à la trahison de l'ancien préfet d'Eure-et-Loir.

J’ai assisté en direct à la « naissance » de la socialiste Françoise Gaspard. 
Elue maire en 1977, elle abandonnera la politique pour la sociologie et le combat féministe, et s'est mariée en juillet 2013 avec la journaliste Claude Servan-Schreiber, après 13 ans de PACS.

J’ai également vu émerger l’extrême droite avec Jean-Pierre Stirbois sur fond d'immigration rejetée dans les quartiers périphériques minés par la petite délinquance, et le chômage croissant. Cet imprimeur, fils d’ouvrier, proche de Le Pen obtiendra 10 % aux cantonales de 1982... 
Après sa mort fin 1988 dans un accident de voiture au sortir d'un dîner-débat, son épouse Marie-France (décédée en 2006) reprendra le flambeau. Elle sera élue député en 1989, à la faveur d'une partielle, avec 61,3 % face à un mauvais candidat RPR, industriel minotier…
Toutes ces années, j’ai apprécié la confraternité qui régnait entre journalistes, venus d’horizons différents. 
Des esprits ouverts, à l'opposé de l'actuel formatage des écoles. 

Internet et Google n'existaient pas :
 on utilisait le Quid pour faire une
recherche documentaire !
Elle s’exerça, entre autres, avec Jean-Pierre Juszczyszyn alias Pierre Ivan (ESJ Lille). Il deviendra directeur de cabinet du sénateur RPR Martial Taugourdeau (1926-2001), président du conseil général d’Eure-et-Loir, après avoir été au service du député UDF Maurice Dousset (1930-2007).
Louis Bresson (rédacteur en chef de Les Nouvelles de Tahiti puis directeur de la publication de La Dépêche de Tahiti), (Dann Chetrit (abandonnera le métier pour la sculpture)Nadine Courdier (Tout Tango Magazine), Dominique DambléDominique Dumont (parti au Pays d'Auge puis en Corrèze pour L’Essor du Limousin, le journal de Chirac), Maurice Durox (chef d'agence à Nogent-le-Rotrou), Jeanne Favarel, Yves Gaubert (devenu journaliste maritime auteur de nombreux ouvrages), Annie Guibert-Alibert (devenue psychanalyste), Gabriel Lair (qui quittera sa vallée de l'Eure pour la Normandie), Pierre-Marie Lemaire (correspondant à Chartres qui partira au Messager de Thonon avant Sud Ouest La Rochelle), Jean-Luc Pays (IUT Tours), Jean Victorieux (journaliste pêche et chasse, billettiste de L'Antidote, poète et peintre, né en 1936, décédé en janvier 2019), Marc Wattelet (secrétariat de rédaction, décédé en 2004), le photographe Didier Leplat, et les sportifs Hervé Le Quellec et Ivan Ponchin. 
A l’atelier : Claude Maignan, Jean-Luc Linsart, Michel Lamy, Jean-Jacques Grosselin (décédé en octobre 2016), Loïc Perron, Philippe Varagne (qui deviendra journaliste à La République du Centre), Philippe Martin (décédé), Yvan Cesbron, et l'équipe des clavistes. 

Une confraternité valable également avec les confrères concurrents de L’écho comme Ivan Drapeau (décédé en 2014), Dominique Martin (qui rejoindra La République du Centre), Louis-Marie Martin, Didier Caillaud (devenu journaliste municipal à Dreux, jusqu'à sa retraite en 2014), Gilles Dauxerre (futur rédacteur en chef de L'Yonne Républicaine puis de Paris Normandie et directeur de La Provence. 
En 2009, il devient conseiller en communication et relations publiques et fonde TEAM Conseil en 2015).
Denis Boutry (parti au Dauphiné).
Les confrères de La République du Centre, Christian Bidault (fondateur de Mag Centre), Françoise Guignard, Michel Marneur, Jean-François Tricot, René Robinet, le chef d'agenceUne concurrence confraternelle, également, avec Roger Cartryl'unique rédacteur de Beauce Matinqui rédigeait ses papiers au café du coin !
Ivan Drapeau quitta Dreux en 1977. 
En 1991, je le retrouve pour lui succéder à la direction
de La Nouvelle République à Niort (capture d'écran France 3)

Ivan Drapeau quittera la rédaction de Dreux de L'écho en 1977, pour devenir la grande plume de La Charente Libre, 35 années durant. Devenu rédacteur en chef adjoint, il est décédé à 62 ans, d'un cancer du foie, en mars 2014, quelques mois après son départ en retraite.
Dans sa longue fidélité au quotidien charentais, il s'accordera une parenthèse de deux ans de direction à La Nouvelle République du Centre Ouest, où les hasards professionnels feront que je lui succède en 1991 ! 

L'Action, les rédacteurs en chef ne se prenaient pas la tête : 
entre deux rallyes automobiles Jean-Paul Renvoizé était aux manettes (il poursuivra sa carrière passion à Auto Hebdo puis L'Equipe). Son successeur, Bernard Soubrier rejoindra Le Parisien.

Chaque semaine, à l'atelier, on côtoyait l'équipe du journal La Liberté de la Vallée de la Seine, hebdo local, propriété de Brigitte Gros, sénatrice radicale des Yvelines et maire de Meulan, soeur de Jean-Jacques Servan-Schreiber, fondateur de L'Express.

Autre journal, monté à Dreux, La Défense Agricole animée par l'adorable Bernard Maroquin, athlète de niveau international.
Animateur de la rédaction drouaise jusqu'en 1981, je deviens chef des infos puis adjoint du bouillonnant rédacteur en chef Michel Langlois.
Arrivé de Paris Mantes en 1978, il avait fait ses preuves à France Picardie, éphémère édition lancée par le groupe Amaury, et à La République de Seine-et-Marne.

Novembre 1982 : passage de relais avec Jean-Yves Barzic

LA LIBERTE A LORIENT... A RESTRUCTURER

La dernière parution de La Liberté le 28 octobre 1995
Hersant l’appellera en janvier 1983 à la direction de La Liberté du Morbihan, quotidien de Lorient, en pleine restructuration, succédant à Maurice Chenaillé, fils du fondateur. 
Quelques mois plus tard, Henri Morny me propose de rallier le port de Lorient. Un nouveau défi à relever !
Après sept années à Dreux, il était temps d'en partir !

Je passe alors le flambeau à Jean-Yves Barzic (qui venait du Journal de Redon). 
Il restera 17 ans, jusqu'en 1999, pour rejoindre un ultime poste dans un quotidien du groupe.

Le 1er novembre 1982, je débarque rue de Clairambault, où la Liberté avait quitté depuis peu le plomb et stoppé sa vieille rotative le 16 avril 1982, pour passer - funeste erreur - de l'édition du soir au matin à compter du 2 novembre 1981, et à la composition froide. 
Le journal entrait ainsi en concurrence directe avec Ouest France et Le Télégramme, récemment implanté, qui profitera du nouveau lectorat.
J'y découvre la modernité des écrans de DATOX, alors obscure société informatique dont les logiciels et le dynamisme des équipes d'Olivier Le Jariel, son PDG, domineront le marché en quelques années. Le journal était en pleine mutation technologique mais l'on recevait encore les photos sur "bélinographe", un système mis au point en 1908 par Edouard Belin... Je me vois encore récupérer sur le tambour le portrait de Léonid Brejnev, qui venait de mourir le 10 novembre 1982 !

Nommé secrétaire général de la rédaction, chargé de la conception de la « Une », ma mission première était de mettre de l’huile dans les rouages entre la rédaction et les « techniques », encadrés par Gaby Le Cam
Je n'oublie pas le rédacteur en chef flegmatique Jean-François Pecqueriaux(décédé à 57 ans en 2007), et des journalistes comme Michel Faucheux, François Bijou, Sébastien Lacroix (qui deviendra rédacteur en chef de l’Union de Reims), Eric Lemarchand, Jacques Le Meur (spécialiste maritime qui rejoindra Le Marin)Guillaume Moingeon (devenu écrivain public), Yves Guégan (parti au Télégramme).
En novembre 1986Michel Langlois part à la retraite pour se livrer à sa passion favorite des tournois de bridge. 
Hervé Le Gouallec le remplace. Cet ancien journaliste de L’Action, y assurait la chronique de la vallée de l'Eure, et notamment d'Ivry-la-Bataille, où Robert Hersant possédait une imposante résidence secondaire, devenue un golf. Il dirigeait depuis plusieurs années l’édition fantôme de L’Eclair à Nantes, signant un édito plus à gauche que celui de Presse Océan...
Le 28 octobre 1995, La Liberté publiera son dernier numéro après 51 ans d'existence.
Le quotidien lorientais mourra étouffé par le déficit chronique et l’hémorragie de ses lecteurs vers les deux autres quotidiens régionaux.

PRESSE OCEAN A LA ROCHE SUR YON... L'INFORMATISATION D'UNE EDITION
N’étant pas appelé à rester à Lorient - mon contrat prendra fin le 15 avril 1983 - Henri Morny me proposa de renforcer le secrétariat de rédaction de l’édition vendéenne de Presse Océan à La Roche-sur-Yon, informatisée par DATOX (édition supprimée en avril 2008). 
Le 25 avril 1983, je me retrouve dans la ville Napoléon, non sans avoir été « adoubé » par Philippe MestrePDG jusqu’en 1993, Hervé Louboutin, le directeur départemental (fondateur du Nouvel Ouest en 1988) et Francis Le Caignec, son adjoint.
Mestre, député UDF de Vendée depuis 1981, ancien préfet de la région Pays de Loire (de 1976 à 1978), dirigea le cabinet du Premier ministre Raymond Barre. Il venait de connaître un échec cuisant aux municipales de mars, face au maire sortant de la ville préfecture, le socialiste Jacques Auxiette…
Mestre avait une dent contre les journalistes syndiqués... comme Martine Brillant, chef du SR. Il préféra l'insipide Jean-Claude Pierre, qui deviendra chef de la rédaction de La Roche, puis directeur général en 1996 avant de partir aux Antilles. 
Parmi les jeunes journalistes, Dominique Luneau deviendra rédacteur en chef en 2006, au moment du rachat par le groupe Ouest-France puis directeur général délégué en 2008, jusqu'à sa démission en 2009.
Cinq mois plus tard, l’informatisation étant terminée, je quitte la Vendée pour la Normandie.
D‘octobre 1983 à mars 1984, je vais conforter l’informatisation de la rédaction du bi-hebdo Le Pays d’Augeà Lisieux et Deauville, animée par Robert Rocherand, rédacteur en chef omniprésent très implanté, (décédé en décembre 2012 à 68 ans), à la demande de Christian Renet
L'ancien directeur de L'Action qui dirigeait la branche Normande du groupe Hersant depuis 1979, sera appelé peu de temps après à la direction générale de Presse Océan pour redresser le quotidien nantais confronté pour la première fois depuis 25 ans à un exercice déficitaire.


à suivre : mes années Echo républicain 1984-1991

Mes années ORTF : 1973-1975

Mon aventure médiatico-journalistique commence en 1973. Les couloirs de la Maison de la radio me conduiront dans les impasses de l'ORTF, deux ans avant son éclatement.


1973-1975 : étudiant à Paris VII en Sciences
de l'Information et de la Communication
C'est grâce à Bernard Cuau (1935-1995), l'un de mes professeurs d'université (rédacteur en chef du service photo au Nouvel Observateur et membre de la rédaction des Temps Modernes), que j'ai décidé de changer d'orientation, passant de la physique-chimie aux sciences de l'information !
Son passionnant cours de cinéma m'a ouvert les yeux sur le monde du côté de la Cinémathèque, avec Eisenstein, Dziga Vertov et l'expressionnisme allemand de Murnau.
Cherchant un "job étudiant", il me parla de la possibilité d'effectuer des stages à l'ORTFle service public de l’époque.

Rendez-vous pris dans un bureau du 5e étage de la Maison de la Radio, quai Kennedy, l'on me demanda simplement si je savais "taper à la machine à écrire". Par chance, j'avais appris par moi-même sur une vieille Remington...

A Courbevoie, le centre Inter TV (INA)
Début mai 1973, à 20 ans, sans autre viatique, je suis affecté à Inter TV. (voir la vidéo de l'INA à partir de 15.37)

La rédaction, centre de production autonome, se trouvait à Courbevoiedans une grande villa.
L'agence d'images, alors dirigée par Guy Bernèdeancien responsable de la création des télévisions d'Afrique francophone, dépendait de la direction des Affaires Extérieures et de la Coopération (DAEC) de l'ORTF. 

Domicilié au sud de Paris, à Bourg-la-Reine, il me fallait deux bonnes heures de métro, aller-retour, pour rejoindre le pont de Levallois, tout au nord.

Heureusement, Inter TV déménagea l'année suivante, au centre Brossolette, rue de l'Université à Paris.
Pour éviter ce long trajet, j'avais loué une chambre de bonne, avec toilettes sur le palier, sous les toits d'un immeuble cossu de la rue Jeanne-Hachette, derrière la mairie du XVe. 

Philippe Gildas,
dans les années 70 (INA)

L’été 1974, j’y recevrai Philippe Gildas, alors rédacteur en chef à France Inter. 
Il me livre un lourd magnétophone à bandes pour décrypter ses interviews du reporter de guerre Jean-François Chauvel. Quelques mois plus tard, le livre « A rebrousse-poil » paraîtra chez Olivier Orban.  

Les programmes réalisés par Inter TV (actualités et magazines), étaient vendus aux télévisions étrangères. Diffusés aux quatre coins du monde, les commentaires bénéficiaient de traductions en anglais, arabe et espagnol. 
Une sorte de « voix de la France » bien avant France 24, lancée fin 2005... 

En ce temps là, les caméras n'étaient pas numériques ! 
Les films 16 mm étaient développés sur place, montés et synchronisés en auditorium. 
Des dizaines de copies « kinescopées » partaient par avion…
Mon rôle consistait à rédiger un résumé de quelques lignes, accompagnant chaque bobine dans sa boite métallique ! J'avais aussi pour mission de transmettre par télex les demandes de reportages aux correspondants en Afrique (parmi les plus actifs : Jacques Abouchar, futur otage en Afghanistan en 1984, Jean-Loup Demigneux, directeur de la rédaction de France 2 en 1996, etc...)

Première apparition télé d'Arlette
Chabot  le 21 octobre 1978 (INA)
Dans cette rédaction, j’avais repéré la grande timide Arlette Chabot
La jeune débutante de 22 ans, roulait alors en coupé Peugeot décapotable...
Arlette, qui rejoindra France Inter en 1974, n’imaginait sûrement pas qu'un jour, elle déstabiliserait  Jacques Chirac en lui posant la question devenue culte sur l'issue de sa candidature à la présidentielle de 1995…
Directrice générale adjointe, chargée de l'information sur France 2, de 2004 à 2010, poussée vers la sortie en 2011, elle rebondira à la direction de la rédaction d'Europe 1
"Débarquée" en 2012, elle réapparait en 2013 sur LCI et succède en 2015 à Michel Field  (promu directeur de l'information à France Télévisions, il sera poussé à la démission en mai 2017) pour présenter "Politiquement Show". Elle officie toujours dans le créneau 17-18 h avec "Le Débat", participe aussi aux "partis pris" de 24 h Pujadas, et assure une chronique à Sud Radio.

Arlette Chabot a-t-elle été virée de son poste à France
 Télévisions à la demande de Sarkozy ? Lire ICI
D’autres journalistes talentueux exerçaient dans l’équipe d’Inter TV, encadrée par Gérard Morin (futur directeur de FR3 Nice Côte d’Azur en 1977, puis directeur régional à Toulouse en 1983) et Richard Hartzer (délégué SNJ chargé des dossiers des journalistes lors de la liquidation de l’ORTF) : Jean-Charles Deniau (futur documentariste), Fernand Divol, reporter d'images, Catherine Grandmougin, Francisco Nunez, Claude Boulanger (qui me fera connaître le journaliste-historien de Paris Francis Cover (1913-1975) peu de temps avant sa mortet le cinéaste Jacques Tati aux studios de Billancourt, lors du tournage de son dernier film Parade)...

DE DESK EN DESK

L'aventure commença à la Maison de la Radio (dr)
Pour compléter mes revenus, je collaborais aux  desks des radios de l'ORTF : le fameux "bocal". 
Un univers feutré, au troisième étage de la "Maison ronde".
L’ordinateur encore inconnu des rédactions, c’est à la main que l’on triait les dépêches d’agences de presse (AFP, ACP, AP, Reuters, météo, courses hippiques). 
Elles tombaient à jet continu 24 h sur 24, sur de bruyants téléscripteurs qui chauffaient dans des locaux exigus (pour avoir une idée de l'ambiance, voir le reportage de Georges de Caunes à l'AFP).
Une fois les dépêches triées, la course s’engageait dans les couloirs pour alimenter au plus vite chefs de service et présentateurs avides.  

Reportage à l'AFP (INA)
L’ORTF accordait alors à ses « petites mains » de faux statuts de « conseiller artistique », « chroniqueur », ou "employé de presse", payés en numéraire :
51 Francs (8 € d'aujourd'hui) pour 8 heures à Inter TV, 70,92 F. (11,15 €) sur la 1re chaîne, 90 F. (14,15 €) à la radio, 109,60 F. (un peu plus de 17 €) sur Antenne 2
C'était bien payé pour un SMIC horaire de 5,40 F à cette époque.
Il fallait monter au bureau des cachets pour toucher son argent...

Georges Slavicek
France Culture, où l’actualité avait été introduite en 1970 par Robert West, je faisais équipe avec l'attachant Jiri Slavicek (décédé en mars 2011 à 68 ans). 
Georges, son prénom francisé, était arrivé en France, en 1968, avant l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes russes. 
Sa voix radiophonique était particulièrement appréciée des auditeurs de Radio Free Europe
Phrases sans ponctuation à la Proust, rire sarcastique, celui qui arrivait toujours essoufflé, dans sa gabardine trop grande, s'excusait de son imparable "Je suis en retard". Quel adorable confrère ! 
Son humour slave, sa culture, sa liberté d'esprit, apportaient un supplément d'âme à la froideur des couloirs de la "maison ronde". 
Et nous partions refaire le monde au Palais de la Bière !
Après minuit, un taxi (conduit par un vieux russe blanc) nous reconduisait à domicile...

J'ai aussi beaucoup appris aux côtés de journalistes, débutants ou confirmés, comme Alain Baron (actuel directeur de Radio Notre Dame)Gabriel Mérétik spécialiste de la Pologne, Guy Laval, Francisque Oeschger (CFJ 1974)Dominique Souchier qui portait alors le pseudo de Dominique BlancDominique Trinquet (fondateur en 1987 de l’Institut d’Etudes de la Désinformation)… 
France Inter, où régnait Yves Mourousi et son "Inter Actualité Magazine", on "moulinait" l’actu toutes les heures avec trois grandes voix : Patrice Bertin, Jacques Chabotet Ralph Pintoavec Jean-Louis Courleux (décédé en 2016), comme chef de desk, secondé par des journalistes tchèques, anciens réfugiés politiques. 

En fin de service de nuit, plus calme de 22 h à 6 h du matin, j'allais prendre un crème au café des « Ondes », et il m'arrivait d'aller dormir quelques heures sur un banc au pied de la statue de la Liberté, pont de Grenelle. La nuit la plus mémorable sera celle du 9 août 1974, lors de la démission du président américain Richard Nixon

Après Inter TV, direction le 13-15 rue Cognacq-Jay
berceau historique de la télévision (dr)
J’effectuais le même type de service pour les JT des Première et Deuxième chaînes dans les studios historiques de la télévision rue Cognacq-Jay.
J'alimentais en dépêches les bureaux de Jean-Pierre Elkabach et Jean-Claude Héberlé. 
Dans les couloirs on croisait Roger Couderc ou Michel Denisot, un débutant qui fera carrière...
Sur le plateau du sacro-saint 20 heures, il fallait surveiller le fil AFP, depuis une cabine insonorisée. Au cas où, on glissait le "flash" important sur le bureau du présentateur. L’oreillette n’existait pas encore !
Léon Zitrone, présentateur vedette, aimait dire : " A l'instant même, on me tend une dépêche... Je cite..."
J'ai croisé d'autres présentateurs comme Jean-Michel Desjeunes (qui se suicida à 36 ans en 1979), Philippe Harrouard, Jean Lanzy (décédé en 2018), Bernard Rapp (décédé en 2006), Jean-Marie Cavada, Patrick Poivre d’Arvor qui prenait son repas à la cantine... Il m'arrivait aussi d'aller boire un verre de vin blanc avec un fromage de chèvre au "Sancerre" avenue Rapp.

Encore étudiant, j'ignorais alors que ma vie professionnelle serait liée au journalisme. Pourtant, plusieurs signes annonciateurs me poussèrent au coeur de cette aventure.
Fin 1970, j'avais manifesté contre le procès des nationalistes basques à Burgos et la répression de Franco. 
En décembre 1971, j'avais apprécié le fameux "Messieurs les censeurs bonsoir !" de l'écrivain Maurice Clavel face au ministre Jean Royer. L'élan lyrique de l'écrivain, chroniqueur du Nouvel Observateur, contre la censure allait m'ouvrir les portes d'une période "maoïste" !
Le journal maoïste de 1971 à 1973

J'avais également été sensibilisé aux violences policières dans "l'affaire Jaubert" après avoir été attiré un moment par le surréalisme des activistes de "Tout", du Mouvement VLR (Vive la Révolution) conduit par Takis Candelis, alors agitateur en salopette au lycée Rodin... futur directeur général adjoint de TF1...
Mettant à profit mes connaissances en chimie, j'ai fabriqué des cocktails Molotov dans un bureau désaffecté de Jussieu et j'ai diffusé La Cause du Peuple à la porte de la fac !
Il m'est même arrivé d'aller aider faire des paquets de journaux à l'imprimerie Roto Technic Offset d'Aubervilliers. 
Ils étaient ramenés au local du passage Dieu (20e) dans la 4L bleue de Rédith Estenne, la première épouse d'Alain Geismar, ancien leader de Mai 68 devenu dirigeant de la Gauche Prolétarienne, qui rejoindra le parti socialiste en 1986. 
Alors que la mort du militant Pierre Overney, en février 1972, abattu par un vigile de la régie Renault, enflammait les esprits, Geismar sifflera l'année suivante la fin de cette posture révolutionnaire de l'extrême gauche qui passait de la rubrique "Agitation" du Monde aux dérives violentes d'Action Directe. 

De 1971 à 1973, mes "camarades" de la CDP et du Secours Rouge, s'appelaient Cloud, Bénédicte, Blandine, Moustache, André Landau, Christian Riss, Gilbert Castro, André GlucksmannJacques Darmon (futur médecin qui sera inquiété plus tard lors des poursuites engagées contre Action Directe),  la journaliste Michèle Manceaux, Sorj Chalandon, futur grand reporter, prix Albert-Londres 1988, et écrivain à succès.
L'été 1972, j'ai participé aux moissons sur le plateau du Larzac, aux côtés de Frédéric Joignot, alias Fredo, alors responsable du Front de la Jeunesse, et futur journaliste du Monde.

Premier numéro de Libération :
le 5 février 1973
Fin 1972, début 1973, au sein des premiers comités Libération, prémisses du lancement du quotidien éponyme dans ses locaux de la rue Dussoubs, puis au 14 rue de Bretagne (3e), et de l'APL (Agence de presse Libération) j'ai compté parmi les jeunes militants opposés à l'autoritarisme de Serge July et de Benny Lévy (qui reviendra plus tard à la tradition juive) qui me convoqua même pour une séance d'autocritique, en présence d'une militante prénommée Nicole. 
Nous n'étions que quelques uns à dénoncer les mécanismes autoritaires et l'imposture d'un faux journal du peuple lors de l'AG des comités Libération du 21 mars 1973 : le journaliste sportif Alain Leiblanc (qui fera ensuite carrière dans la communication à l'UEFA et la FIFA), Robert Aarsse (qui deviendra diplomate néerlandais et député européen Vert en 2014), Jean-Louis Gangneux, étudiant en maths et socio à Paris VII, Jacqueline Koutouzof, Catherine Humblot, Yves Hardy... 

Nous avons préféré quitter cette voie étriquée et personnellement, je n'avais jamais accepté 
l'engagement pro-palestinien forcené de l'organisation maoïste. 
Après la guerre du Kippour d'octobre 1973, cela choquait fortement ma conscience de petit-fils d'immigrés juifs ayant quitté en 1904 les pogroms antisémites d'Ukraine et de Moldavie, pour se réfugier en Turquie et finalement en France, à Marseille puis Paris, où ils obtinrent la nationalité française en 1927, avant d'échapper à la Shoah

Ma première leçon d'éthique journalistique, je l'ai vécue en participant à une action militante décidée spontanément.
Nous étions quelques étudiants et maîtres assistants à partir à l'assaut contre la dérive de Combat - le quotidien issu de la Résistance - qui, quelques mois avant sa disparition, accepta de publier une publicité d'un mouvement d'extrême-droite !
Combat : la Une du dernier numéro daté du 30 août 1974
Nous fûmes reçus par son dernier rédacteur en chef Jean-Pierre Farkas, (futur directeur de l'information de Radio France), dépité d'en être arrivé là.
Le 15 juillet 1974, le directeur de la publication Henri Smadja se suicide...

Après avoir rompu, en 1974, avec les équipes militantes, je participe aux premières réflexions éditoriales de la revue Interférences, créée fin 1974 par Antoine Lefébure, futur responsable en 1980 des nouvelles technologies, au groupe Havas.
Nous nous réunissions chez Antoine, quai de Jemmapes, ou chez Jean-Luc Couron (alias Jean-Luc Arnaud) qui ont théorisé les futures "radios libres" par la critique du monopole de l'ORTF.
Fin 1974, avec Jiri Slavicek, nous approchons l'équipe du quotidien L'Imprévu pour lui proposer nos services. Mais l'éphémère journal lancé par l'écrivain Michel Butel et Bernard-Henri Lévy cessera d'exister après seulement onze parutions !

En février 1975, après l'éclatement de l'ORTF, je cesse mes collaborations aux desks, contraint et forcé. 
Un courrier de Michel Péricard (1929-1999) (reproduit ci-contre), alors directeur de l'information de Radio France, indique déjà le vrai sens de la réforme : 

Il vous a été indiqué que nous étions dans l'obligation de nous défaire de votre collaboration à la suite d'une réorganisation des rédactions, en vue d'en réduire les charges "...
Je préfère alors quitter Paris pour vivre autre chose et débuter réellement ma vie professionnelle dans la presse écrite régionale.


Presse & Médias : La puissance des groupes de presse

P rincipal reproche fait aux grands groupes : la concentration des médias entre les mains de quelques uns. Des empires industriels qui n’ont...