vendredi 24 février 2017

Presse écrite : quelles perspectives ?

Plans d'économies d'échelle, mutualisation de moyens, sont engagés par les entreprises de presse quotidienne mais au chapitre des investissements, la diversification digitale progresse lentement.

LA VOIX DU NORD


Début janvier 2017 : annonce d'un plan social de 178 postes sur 710 salariés (25 % de l'effectif) dont 55 journalistes sur 343. 
Objectif de la direction : investir dans le développement du numérique, ses éditions "papier" perdant des lecteurs.

En 2015, le 3e quotidien régional, après Ouest-France et Sud-Ouest, affichait une baisse des ventes de 4,58 % (source APCM) à 217.106 exemplaires. 
Balloté de 1998 à 2003 entre son rachat par des cadres du journal, le belge Rossel et la Socpresse d'Hersant, puis le groupe Dassault en 2004, qui le revendait à Rossel en 2005... En 2007, la petite-fille d'Hersant, Aude Jacques-Ruettard investit 40 M€ de son héritage pour acquérir 20 % du capital de Voix du Nord Investissement (VNI) à travers sa société AJR Participation, sa holding luxembourgeoise. De l'argent frais indispensable à Rossel pour investir dans de nouvelles rotatives.
2011 : le Crédit Agricole entrait dans le capital à hauteur de 25 %.

2013 : Rossel pousse ses pions en rachetant les départementaux l'Union, l'Ardennais, l'Est-Eclair, Libération Champagne, l'Aisne Nouvelle et la radio Champagne FM à Hersant Médias.
    Jacques Hardouin, DG de La Voix estime "inéluctable" le mouvement général de concentration (interview dans Les Echos, avril 2016) : " Quand Rossel La Voix a repris l'Union de Reims en 2013, ce dernier perdait 7 M d'euros. Ce journal va dégager cette année un EBE de 6 millions ". 
    A terme, il prédit 4 à 5 grands groupes de PQR contre une dizaine actuellement.
    2015 : La Voix du Nord affiche un bénéfice net de 5,4 M€. Mais la loi française autorise une entreprise qui affiche des baisses de revenus quatre trimestres de suite à licencier.
    Depuis 12 trimestres, La Voix du Nord perd de l’activité publicitaire et ses ventes « papier » sont en baisse.

      Ou s'arrêtera l'appétit de l'ogre Rossel qui affiche un CA de 253,9 M€ en 2015 et prévoit 256 M€ pour 2016 ?

      DNA-L'ALSACE

      Le Crédit Mutuel s'engage dans un plan d'économie avec le rapprochement entre les deux grands quotidiens régionaux de l'est, les DNA et L'Alsace

        LA DEPECHE DU MIDI
        MIDI LIBRE 

        Achat du groupe "Midi Libre" en juin 2015 pour 15 M€.
        "Sud-Ouest", en 2007, l'avait payé 90 M€ au groupe Le Monde.

        La mutualisation prévoit la suppression d'au moins 350 emplois mais le groupe annonce l'embauche de 10 jeunes diplômés multimédias en CDI via son agence de presse Dépêchenews. Ces journalistes ne disposeront pas des mêmes avantages que leurs confrères...

        Octobre 2016 : 5 postes supprimés à Centre-Presse, 3 à La Dépêche dans l'Aveyron. 
        Objectif 2018 : réduction des effectifs de 20 %).

        Lire le point de vue du SNJ 

        En avril 2016, Jean-Nicolas Baylet, DG du groupe La Dépêche, exposait sa stratégie de diversification digitale : la stratégie de la marguerite, en présentant trois exemples de pétales.
        • Midi Tour : l’application dédié au tourisme,aux balades et aux découvertes dans la région
        • Midiolympiques.fr : réseau social sur lequel l’identité de l’inscrit se base sur ses compétences rugbystique
        • Toulouse à Domicile : la toute dernière née qui propose la livraison de restauration à domicile
        Le groupe La Dépêche comptabilise 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, et totalise une audience cumulée de 2.3 millions de lecteurs par jour sur une zone de 5 millions d’habitants.

        En dépit des apparences, La Dépêche - Midi Libre respecte la loi anti-concentration et le pluralisme.
        La loi de 1984 (anti-Hersant), remaniée en 1986, avait vu l’abrogation de plusieurs articles déclarés non conformes à la Constitution. Ainsi, l’article 11 sur le pluralisme indiquait qu'une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens régionaux ou départementaux ou locaux si le total de leur diffusion n'excède pas 15 % de la diffusion de tous les quotidiens de même nature.
        Cette réalité est pourtant largement dépassée par le groupe de presse dans l'Aude et l'Aveyron. Le "pluralisme" à la sauce Baylet laisse le choix entre trois quotidiens du même groupe : Centre-Presse, Midi Libre et La Dépêche, mais rédactions et locaux sont désormais communs.

          LA MARSEILLAISE


          Proche du PC, fondé par des résistants en 1943, a déposé le bilan en novembre 2016
          On compte 57 journalistes sur 117 salariés. 
          Ventes : entre 10 et 15.000 exemplaires sur six départements du sud-est (Bouches-duRhône, Var, Alpes-de-haute-Provence, Vaucluse, Gard et Hérault). 

          Placé en redressement judiciaire fin novembre 2016 pour six mois, le quotidien a présenté début mars 2017 un plan social de 25 suppressions d'emplois sur 117. Le quotidien, indépendant des groupes de presse, a lancé une souscription auprès de ses lecteurs.

          AMAURY 


          Fin 2015 Le Parisien et ses filiales sont vendues, au groupe LVMH, détenu par Bernard Arnault également propriétaire du quotidien Les Échos.
            Le groupe Amaury se recentre sur le domaine sportif, avec L'Equipe et Amaury Sport Organisation (ASO) leader mondial en organisation d'évènements sportifs (Tour de FranceParis-RoubaixParis-NiceRallye Dakar, le Marathon de Paris, l'Open de France).
            Le directeur général, Cyril Linette, a confirmé le virage de "L'Equipe" vers le digital payant.


            SUD OUEST 


            Un plan à trois ans dans le but d'économiser 10 M€ est en préparation, annonce Presse News en février 2017.


            Mars 2016 : Olivier Gerolami, PDG du groupe Sud Ouest annonce le nouveau cap numérique : introduction du freemium et du responsive design (lecture sur tous supports), fusion des rédactions de TV7 et du quotidien, développement du plurimédia avec des journalistes plus polyvalents.
            Pour Olivier Gerolami : "Il faut changer la matrice calendaire parce que l'heure du bouclage ne veut plus rien dire sur le web"

            Février 2017 : Sud Ouest passe au digital first.
            Objectif : 50.000 abonnés numériques d’ici 2020.



            LA FIN DE SPIR COMMUNICATION

            Pour éviter de vivre le même sort que la Comareg qui entraîna le groupe Hersant dans les abimes, le groupe Spir Communication a annoncé en juin 2016 un changement radical de stratégie : la cession totale de ses actifs.



            Spir Communication, fondé en 1971 (SIPA-Ouest-France est l'actionnaire majoritaire depuis 1991), a suspendu sa cotation en bourse en novembre 2016. (CA 2015 : 403,3 M€)
            Le plan "de transformation" lancé en 2016 vise à se recentrer sur les activités digitales en croissance et à réduire ses pertes qui se montent à 62,1 M€ contre 51,2 M€ un an plus tôt. Déjà, en 2015, Spir s'était désengagé complètement de ses imprimeries.
            Le groupe Spir est spécialisé dans la diffusion de l'offre publicitaire en boîtes aux lettres via sa filiale ADREXO (9 milliards d'imprimés / an, 60 % du CA du groupe) et sur 90 millions d'appareils connectés. Il emploie 23.000 personnes.
            Début 2009, 130 postes étaient déjà supprimés dans les imprimeries et un premier plan de restructuration touchait Top Annonces et Logic Immo (170 postes).
            En 2010, Spir vendait pour 400 M€ leboncoin.fr (lancé en 2006) au groupe norvégien Schibsted déjà actionnaire à 50 %. 
            Le 4 février 2016, Spir vend sa participation dans le gratuit "20 Minutes", détenue à hauteur de 25 % du capital, à sa maison-mère Sipa-Ouest-France. La transaction s'est faite pour 2,5 M€.
            Le belge Rossel, en janvier 2016, avait déjà acquis 49,3 % du gratuit auprès du norvégien Schibsted.
            Avril 2016 : Spir annonce la vente de 61 % de Car&Boat Media (qui gère lacentrale.fr) au groupe allemand Axel Springer. Les 39 % restants sont vendus en septembre 2016.
            Regicom (éditeur de Top Annonces) est placé en redressement judiciaire. Repris par Proximédia (groupe Publicis) fin novembre, le gratuit disparait. 
            Un repreneur est recherché pour ADREXO (35 M€ de pertes en 2014). 
            Concernant sa filiale Concept Multimédia (éditeur de Logic Immo) (CA 2015 : 76 M€) c'est finalement la filiale française du groupe Springer qui rachète Logic Immo en avril 2017, et deviendra le n°2 des annonces classées après "leboncoin.fr"
            GOOGLE AU SECOURS DE LA PRESSE

            Fin octobre 2015, Google annonce la création de son Fonds pour l'Innovation (150 M€ sur trois ans pour la presse européenne), soit 16,4 M€ pour les médias français. 

            Ce fonds a été créé par Google pour acheter la paix avec les éditeurs qui lui réclamaient d'être rémunérés pour indexer leurs contenus.


            L'Obs, L'Express, Le Monde et Le Figaro ont empoché près de 2 M€ chacun.

            PQR : onze groupes de presse quotidienne

            Le principe de la concentration des journaux n'est pas nouveau. Il a été initié dès les années 60 par le groupe Hersant (achat de Centre-Presse à Rodez en 1958, couplage Presse-Océan L'Eclair en 1974 et Liberté du Morbihan en 1983, Nord-Eclair / Nord-Matin en 1993). 

            Le groupe Hachette Lagardère fera de même en 1997 avec La Provence. 
            Depuis, le phénomène s'est amplifié. 

            Conséquences : mutualisation des moyens, suppression de nombreux emplois en doublon, mise en place de nouvelles technologiques, nouvelles structures d'entreprises succédant à des actionnariats familiaux, nouvelles méthodes managériales en rupture avec le paternalisme familial.

            Le paysage actuel compte 11 groupes de PQR qui n'arrêtent pas de restructurer, dans un contexte de recul des recettes publicitaires (- 5,2 % pour les régionaux début 2016 - données IREP/France Pub)


            1er :  EBRA 970 245 ex. / jour (Est-Bourgogne-Rhône Alpes) détenu à 100 % par le Crédit Mutuel :  10 quotidiens régionaux.

            2e : Sipa-Ouest-France : 903.809 ex. / jour - 1 régional Ouest-France , 4 départementaux : Presse-Océan, Presse de la Manche, Maine Libre, Courrier de l'Ouest
            La filiale Publihebdos édite 86 hebdos locaux qui représentent plus de 800.000 ex. CA en baisse de 10 M€ entre 2008 et 2013 à 69 M€. 
            Voir la carte interactive des journaux et l'historique.
            Voir aussi (plus bas) la restructuration du groupe Spir Communication, filiale de Sipa-Ouest-France

            3e : le belge Rossel : 408.500 ex. / jour - 1 régional La Voix du Nord, 6 départementaux - 50 % du gratuit 20 Minutes

            4e : Centre-France : 373.354 ex. / jour - 1 régional La Montagne, 7 départementaux et 10 hebdos. Actionnaire à hauteur de 16 % du groupe La Nouvelle République du Centre-Ouest. Structure SAS (société par actions simplifiée) depuis mars 2017.

            5e : La Dépêche-Midi Libre :  356.598 ex. / jour - 2 régionaux, 4 départementaux : Centre-Presse, L'Indépendant, La Nouvelle République des Pyrénées, Le Petit Bleu d'Agen

            6e : Sud-Ouest : 335.919 ex. / jour - 1 régional : Sud Ouest. 4 départementaux : La Charente Libre, La République des Pyrénées-L'Eclair, La Dordogne Libre, le gratuit Direct Bordeaux 7. 6 hebdos départementaux.

            7e : Le Télégramme : 196.061 ex. / jour - 1 régional, 1 hebdo, et des activités diversifiées


            8e : La Nouvelle République du Centre-Ouest :
             172.619 ex. / jour. 1 régional NRCO, 1 départemental Centre-Presse (Vienne). 1 hebdo : TMV (Tours, Poitiers, La Rochelle en partenariat avec SO)

            9e : La Provence :
             103.695 ex. / jour. 1 régional + Corse-Matin 32.657 ex. / jour

            10e : Nice-Matin : 77.850 ex. / jour. Début avril 2017, ouverture d'un guichet de départ pour 100 salariés (source Press News). CA 2016 : 90 M€ et 4 M€ de bénéfices.


            11e : Paris-Normandie - Havre-Presse - Havre Libre : 56.755 ex. / jour.

            Offre de reprise par le groupe Rossel en novembre 2016. Décision fin février 2017. (voir plus bas et pour comprendre)


            Les restructurations-concentrations ne sont pas une spécificité française. 
            En Suisse, la presse francophone, au capital helvétique / allemand n'échappe pas à ce processus en raison de la chute vertigineuse des recettes publicitaires.
            2 février 2017 : disparition de "L'Hebdo", édité par le groupe Ringier (suisse alémanique) et Springer (allemand), propriétaires de nombreux titres de la presse magazine française. Fondé en 1981, sa diffusion est passée de 60.000 à 35.000 ex. Lire l'article de Le Matin.
            Le quotidien "Le Temps" (35.000 ex.), édité par le même groupe, à Lausanne, annonce une vingtaine de licenciements après deux précédentes restructurations ces cinq dernières années. Le journal était né en 1998 de la fusion du "Journal de Genève" et du "Nouveau Quotidien".
            22 juillet 2018 : Le groupe Tamedia (qui éditait "20 Minutes" a intégré le groupe Edipresse en 2009) a décidé l'arrêt de la version papier du quotidien "Le Matin" de Lausanne (38.000 exemplaires). Une cinquantaine de postes sont menacés. 
            Déjà, en 2016, 24 licenciements avaient touché "Le Matin", "24 heures" et "La Tribune de Genève"
            Déjà, en 1994, le quotidien "La Suisse" avait disparu
            L'actionnaire principal, le franco-suisse Alain Duménil est soupçonné en Suisse d'infractions fiscales.
            Le groupe ESH Médias, dirigé par Philippe Hersant, semble résister...

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              Extrait de PRESSE&MÉDIAS juin-juillet 2025