vendredi 24 février 2017

Presse écrite : les avantages fiscaux des holdings

Pour quelles raisons des industriels, souvent bien loin de la presse, décident d'investir dans ce secteur en péril ?

Jean Stern dénonce les astuces fiscales
Le modèle économique de la presse française remonte à la Libération avec nombre d'entreprises familiales issues de la Résistance. 
Sur les ruines de la presse "collabo", un partage s'est fait entre gaullistes, socialistes et radicaux, et les communistes. 
Aux premiers les rédactions, aux seconds les imprimeries, et la distribution.
Pour survivre, la presse s'est modernisée à partir des années 80. Des investissements énormes ont été réalisés dans l'imprimerie mais au lieu de mutualiser ses moyens, chaque groupe s'est retrouvé avec des usines pharaoniques, des tirages en baisse, mais des emprunts à rembourser...
Le syndicat du Livre CGT a tenu tête au patronat qui, pour avoir la paix sociale, a accepté augmentations de salaires, primes, multiplication des équipes et la règle du fini-parti.

Aujourd'hui, l'acquisition d'entreprises déficitaires passe par des holdings où l'investissement peut devenir très rentable en raison de mécanismes d'intégration fiscale.

Les bénéfices de certaines sociétés du groupe sont compensés par les pertes d’autres sociétés du même groupe. Ces pertes viennent en déduction des impôts de leurs propriétaires : "Les hyper-riches ont tout simplement couché la presse dans une niche fiscale" écrit Jean Stern dans " Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais ! " (La Fabrique, 2012).

Exemple : En rachetant les magazines de l’ex-groupe Express-Roularta, avec un passif de plusieurs centaines de millions d’euros, le groupe Altice médias a pu minorer ses bénéfices, réalisant ainsi des économies fiscales. On notera que la société mère est installée à Panama, un des plus importants paradis fiscaux et judiciaires...
Les journaux du Groupe Altice Média (GAM), achetés par Patrick Drahi en son nom propre pour moins de 40 M€, lui ont par ailleurs permis une confortable plus-value, ces titres ayant été valorisés pour 243 M€.

Le taux de TVA fait polémique

Lors de sa conférence de presse du 6 février 2017, François Fillon, en pleine tourmente du « Pénélope Gate » a accusé le «  tribunal médiatique » qui cherchait à l'abattre. 
A une question posée par une journaliste de Mediapart, il a répondu par une autre question : « Vous êtes de Mediapart, c’est ça ? Moi je n’ai jamais eu de redressement fiscal, je vous le dis au passage. Oui, il y a des choses parfois qui doivent être dites ».
François Fillon faisait allusion au redressement fiscal de 4,1 M€ auquel Mediapart a été astreint pour s’être autoappliqué entre 2008 et 2014 un taux réduit de TVA, alors réservé aux journaux et périodiques imprimés.
La presse imprimée bénéficie en effet d’un taux de 2,1 % (au lieu de 19,6 %) et certains éditeurs de presse en ligne se sont appliqués ce taux privilégié jusqu’en février 2014, quand la loi française a entériné ce taux contrairement à la volonté de Bruxelles. 
La loi n’étant pas rétroactive, l’administration n’a pas mis fin aux redressements fiscaux engagés contre plusieurs pure players.

Presse écrite : les indispensables recapitalisations

Toutes les entreprises ont souffert d'une sous-capitalisation. 
Sans fonds propres, impossible d'investir ! Une conséquence logique de structures d'actionnariat fermées (SAPO, sociétés de rédacteurs, propriétés familiales).
La recapitalisation par des industriels et financiers a sauvé provisoirement la presse mais lui a fait perdre toute indépendance économique et éditoriale. On notera l'entrée des investisseurs étrangers particulièrement influents comme les groupes belges dans la PQR et le Qatar dans le groupe Lagardère.

Bernard Arnault : LVMH - Les Echos - Le Parisien
François Pinault : holding Artemis (Christie's, Stade Rennais, Théâtre Marigny, Tallandier, Agefi) : Le Point

Patrick Drahi : holding Next Limited Partnership (Guernesey). Actionnaire principal d'Altice (basé à Panama) via SFR Group et sa filiale SFR Média : Libération, L'Express, L'Expansion, i24news, BFM TV, BFM Business, BFM Sport, BFM Paris, SFR Sport 1, RMC.
Février 2017 : demande au CSA son accord pour devenir majoritaire dans NextRadio TV (maison mère de BFM et RMC) où il est présent à 49 %, les 51 % restant à Alain Weill. Coût total : 595 M€.
En mars 2017, SFR Media annoncera ce qu'il entend faire de son pôle presse. 
D'ores et déjà on sait que L'Expansion est condamnée.

Vincent Bolloré : 10e fortune de France (7,3 milliards d'euros), le PDG du groupe Bolloré est également à la tête des conseils de surveillance de Vivendi et de sa filiale Canal +. Le groupe Bolloré contrôle aussi Euro Media, leader de la production audiovisuelle, depuis son rachat de la SFP (Société Française de Production) en 2001.
Direct Matin, quotidien gratuit, compte chaque jour près de 2,4 millions de lecteurs.
Des éditions régionales sont distribuées en alliance avec les groupes de presse régionale.


Voici plusieurs exemples de recapitalisation de la presse écrite :
  • Libération
2014 : la rédaction dénonce les projets des actionnaires
1995 : le groupe Chargeurs de Jérôme Seydoux détient le contrôle financier à 65 % du capital. 
2001-2005  : la diffusion chute de 20 %. Seydoux se désengage en 2000. 
2005 : Édouard de Rothschild, arrive à hauteur de 38,87 %. Il investit 20 M€ et supprime 52 postes.
Fin 2007 : le plan de sauvegarde affiche 15 M€ de dettes.
L'actionnaire accepte une recapitalisation en obtenant la tête de Serge July.
Fin 2009 : le titre affiche 52 M€ de dettes avec un CA de 53.860.000 €
En 2010-2011, le journal renoue avec les bénéfices et connaît une hausse sensible de sa diffusion (+5,3 % en 2011). 
Début 2012 : Rothschild fait entrer Bruno Ledoux, directeur du groupe immobilier Colbert, dans le capital, comme actionnaire de référence à parité avec lui, à hauteur de 26,64 %, moyennant un investissement de 7,6 millions d'euros
Le journal ne survit alors que grâce aux aides de l'Etat (7 M€).
Après un bond de 9,5 % sur un an grâce à la campagne présidentielle de 2012, les ventes chutent de 15 % en deux ans, et la vente au numéro s'effondre de près de 30 %.
Début 2014 : rumeurs de dépôt de bilan... Bruno Ledoux propose un plan de sauvetage avec une augmentation de capital de 18 M€. 
Mai 2014 :  Ledoux insiste sur la nécessité de réformer en profondeur le journal, de renforcer les activités web, de fusionner les rédactions papier et web et sur la mise en place d'importantes diversifications dans le domaine d'activités multimédias, tout en préservant le journal papier. 
Il fait entrer l'homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi, qui investit 14 millions d'euros pour sauver le journal. Il est à la tête d'une holding personnelle, Next Limited Partnership, immatriculée à Guernesey, actionnaire majoritaire d'Altice, principal actionnaire de SFR Group.

La SAS Presse Media Participation Holding (PMP Holding), devient actionnaire à hauteur de 85%, les autres 15 % sont détenus par un ensemble d'actionnaires dont Business & Décision représentée par Patrick Bensabat, Michael Benabou (fondateur de la société Vente-Privee.com), la famille Gerbi (fondateur du groupe Gérard Darel), Franck Papazian (Mediaschool Group) et la société Dinojo.
Juin 2015 : Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction, écrit « Libération était un quotidien qui publiait une version numérique. Libération sera un site qui publie un quotidien ».
Fin 2015 : le journal quitte ses locaux historiques de la rue Béranger pour rejoindre la rue de Châteaudun et les autres journaux de SFR GroupL'Express et L'Étudiant
En moyenne pour 2015, environ 88 000 exemplaires papier par jour et 27 000 abonnés papier, 4 millions de visiteurs uniques en ligne/ jour, 10 000 abonnés numériques.


Mi-2018 : Ce pôle média doit déménager à Balard où mi-2017 s'installeront BFM, RMC et i24news. 

Novembre 2010 : rachat du journal par le trio Pierre Bergé, Matthieu Pigasse (homme d'affaires, propriétaire et président du magazine Les Inrockuptibles) et Xavier Niel (fondateur de Free). 
Le groupe Le Monde est contrôlé par la société Le Monde libre qui possède 64 % du capital, cette société étant détenue par les trois hommes d'affaires et le groupe de presse espagnol Prisa.  
2017 : Le Monde débute la construction de son nouveau siège social regroupant l'ensemble des titres du groupe.
  • La Provence
1997 : Création du quotidien régional à Marseille par le groupe Lagardère. 
Il est né de la fusion des quotidiens Le Provençal et Le Méridional, contrôlés par l'ancien Ministre de l'Intérieur et maire de Marseille, Gaston Defferre (1910-1986).
Fin 2007 : Lagardère le revend au groupe Hersant pour 160 M€. Il diffuse alors 170.000 exemplaires.
2002 : La Provence lance le gratuit Marseille Plus pour élargir ses recettes publicitaires et conquérir un nouveau lectorat. Devenu Direct Matin, il appartient maintenant au groupe Bolloré. 
Fin 2012 : Suite à une augmentation de capital de 48 M€, dont la moitié est apportée par Bernard Tapie et l'autre par Philippe Hersant, Tapie devient actionnaire à 50 % du groupe Hersant Média (GHM). Il s'implique notamment dans la restructuration de La Provence
Eté 2013 :  Tapie était devenu le seul actionnaire. 
2015 : Le belge NETHYS entre à 11 % dans le capital, avec d'autres ambitions régionales (20 % de Nice-Matin en 2016).
2017 : Bernard Tapie ruiné, obtient que ses sociétés ne puissent être saisies par la justice. 


> LES GROUPES BELGES DEVELOPPENT LEUR INFLUENCE

Rossel (3e groupe de PQR en France) avec La Voix du Nord.


2009 : Rachat du Le Courrier Picard (Somme, Oise, Aisne)
2013 : reprise du quadri hebdo L'Aisne Nouvelle, filiale du Courrier Picard, et les départementaux l'Union, l'Ardennais, l'Est-Eclair, Libération Champagne, et la radio Champagne FM au groupe Hersant Média.  
Novembre 2016 : offre de reprise de Paris Normandie, en insistant sur le maintien des effectifs rédactionnels et sur ses capacités pour assurer le développement numérique du quotidien rouennais, en redressement judiciaire depuis avril (décision du tribunal de commerce en fin février 2017).
Rossel a aussi fait une offre à La Nouvelle République l'été dernier, suite à la volonté des "petits actionnaires", regroupées en association, de vendre leurs actions (25 % du capital).
Rappelons que depuis 2016, Rossel possède 50 % du gratuit 20 Minutes.

NETHYS, autre groupe belge, est entré à 11 % dans le capital de La Provence en octobre 2015

En mai 2016, prend 20 %  dans le capital du groupe Nice-Matin (Nice-Matin, Var-Matin, Monaco-Matin). 
A l'horizon 2019, il est prévu une réduction des effectifs de 100 emplois.

> FOCUS SUR LE GROUPE LAGARDERE ET LA PARTICIPATION DU QATAR

Depuis les années 90, Lagardère est un groupe leader mondial, dans la presse mais aussi la distribution et l'édition.
(voir http://www.lagardere.com/activites-145.htm

http://www.lagardere.com/groupe/chiffres-cles-151.html

http://www.lagardere.com/fichiers/fckeditor/File/actionnaires%20individuels/assemblee_generale/2017/RA_2017/reperes_2016_2017_fr.pdf

Jean-Luc Lagardère (1928-2003) débuta en devenant directeur général de Matra (aéronautique, aérospatiale) en 1963. 
Jusqu'en 2013, le groupe Lagardère aura une participation dans l'européen EADS, à l'origine en 2000-2001, du groupe Airbus bien connu à Toulouse.

Qatar Holding contrôle (au 28 avril 2017) 13,03 % du capital du groupe Lagardère.

A propos de la participation du Qatar : http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/lagardere-premier-actionnaire-le-qatar-se-renforce-et-veut-sa-place-au-conseil-703615.html

http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/le-qatar-veut-augmenter-sa-participation-dans-lagardere-et-integrer-leconseil-de-surveillance-1156195.html

Quelques données économiques : 

Chiffre d'affaires 2015 : 7.193 M€ (+ 2,6 %)
Chiffre d’affaires 2016 : 7.391 M€

Quatre entités composent le groupe : 

Lagardère Active détient 13 titres de presse en France : Paris Match, Elle, Télé 7 Jours, le JDD, Europe 1, RFM, Virgin radio, Gulli, Canal J, MCM, des sites internet (Mon docteur.fr, Doctissimo), des studios de production, 26 radios  à  travers le monde, 17 télés, une régie publicitaire.

CA 2016 : 962 M€ (915 en 2015) 
Effectif : 3.285 salariés (3.107 en 2015). 

Lagardère Publishing possède : Larousse, Grasset, Calmant-Lévy, Armand Colin, Le Livre de poche, Junod, Stock, Fayard.

CA 2016 : 2.264 M€ (+ 2,6 % / 2015) 
Effectif : 6.653 salariés (6.357 en 2015).

Lagardère Travel Retail : les points de ventes Relay des gares

CA 2016 : 3.695 M€ (3.510 en 2015)
Effectif : 17.050 salariés (14.786 en 2015). 

Lagardère Sports and Entertainment : sponsoring, sport, stades, salles de spectacles, show business.

CA 2016 : 517 M€ (515 en 2015)
Effectif : 1.440 salariés (1.384 en 2015). 


31 % du CA provient de l'édition, 50 % de la distribution, 7 % du sport et entertainment, et seulement 12 % des médias.
L'activité médias est réalisée à 76 % en France.

PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE

  Extrait de PRESSE&MÉDIAS juin-juillet 2025