vendredi 28 juin 2024

MARIANNE

JEAN-MARTIAL LEFRANC APRÈS STÉRIN 


17 juillet : toujours décidé à vendre Marianne, CMI France a officiellement tourné la page avec l’homme d’affaires conservateur  et milliardaire Pierre-Edouard Stérin.

Après deux mois de discussions, les négociations exclusives ont été suspendues après le rejet de la rédaction qui menaçait de se mettre en grève, en raison des relations entre des proches du fondateur de Smartbox (exilé fiscal en Belgique, actionnaire du club de rugby de Biarritz) et le Rassemblement National. 

Dès le 18 juillet, le contact a été renoué avec le producteur Jean-Martial Lefranc qui avait été écarté dans un premier temps après avoir proposé une offre de rachat fin avril.


Spécialisé dans les jeux vidéo et le cinéma d’animation, l’ex-gérant du groupe de presse jeunesse Fleurus, a élargi sa première offre à un groupe d’investisseurs et un tour de table financier a été monté par le banquier d’affaires Philippe Englebert, ancien conseiller d’Emmanuel Macron.

Lefranc s’est engagé à respecter les mêmes règles d’indépendance déjà négociées avec Stérin. 

Pour faciliter le rachat, CMI s’est dit prêt à prendre en charge une partie des coûts de reprise à hauteur de 3 millions d’euros et la nouvelle offre de Lefranc, à hauteur de 8,5 M€, est appelée à augmenter par l’apport d’autres partenaires.


LA RÉDACTION EN GRÈVE S'OPPOSE AU RACHAT 

PAR LE MILLIARDAIRE PIERRE-EDOUARD STÉRIN


Coup de théâtre ! Le 27 juin, la rédaction de Marianne s'est mise en grève après s'être prononcée à l'unanimité contre le rachat de l'hebdo par Pierre-Edouard Stérin (groupe OTIUM) annulant un précédent vote majoritaire à 60,3 % une semaine plus tôt. Entre temps, une enquête du quotidien Le Monde avait révélé les liens du milliardaire catholique conservateur avec le Rassemblement national.





La Société des rédacteurs de Marianne (SRM) considère que « ce qui apparaissait comme un engagement idéologique individuel se révèle être une entreprise partisane ». En conséquence, 
« les garanties d'indépendance obtenues par la rédaction » deviennent 

« insuffisantes pour exercer notre métier avec sérénité » et la SRM demande « à Daniel Kretinsky et à Denis Olivennes, son représentant, de mettre fin au processus de négociation et de se mettre en quête de nouveaux acquéreurs en mesure d'assurer l'indépendance éditoriale de Marianne et la pérennité économique du titre ».

 

« La rédaction est prête à user de tous les moyens à sa disposition pour obtenir satisfaction », insiste la SRM qui, faute de réponse de son actionnaire, a voté à 80 % une grève reconductible de 24 heures dans la soirée du 27 juin, à compter du vendredi 28 juin à 6 heures du matin.

(lire ci-contre le communiqué des salariés)


Les raisons du revirement


La SRM s'appuie sur les révélations publiées dans l'enquête du Monde le 26 juin intitulée 

" Versailles connection" : comment le milliardaire Pierre-Edouard Stérin place ses pions au RN


L'article indique que plusieurs candidats LR-RN aux législatives sont issus de la "galaxie Stérin", en étant notamment liés au Fonds du bien commun, structure philanthropique créée par le milliardaire.

Il est notamment fait état des accointances du directeur financier de son fonds d'investissements OTIUM Capital, François Durvye.

Ce polytechnicien de 41 ans est décrit par Le Nouvel Obs comme le financier secret de Bardella et Le Pen -  et avec Stérin, ils ont racheté en novembre la propriété familiale des Le Pen à Rueil-Malmaison, via une société civile immobilière (SCI). 

Selon le magazine économique Challengescette propriété bourgeoise où vit toujours le fondateur du FN Jean-Marie Le Pen et son épouse Jany, a été vendue 2,5 millions d'euros. Sur 300 m2 et deux étages, elle dispose d'un parc ombragé de 1.600 m2 avec piscine.


> Une autre offre


Un seul challenger sérieux de Stérin a  fait une offre de reprise : l’entrepreneur Jean-Martial Lefranc, 62 ans, producteur spécialisé dans les jeux vidéo et le cinéma d'animation. Ex-gérant en 2009 du groupe de presse jeunesse Fleurus, absorbé par le groupe Le Monde et cédé en 2015 au groupe UHM. 

Co-fondateur de la monnaie alternative Kryptofranc, il est PDG depuis 2019 de la société de production de séries d'animation Why Not Animation & Interaction. Il a également présidé le SAEP, syndicat des éditeurs de presse indépendants.

Son offre initiale a été portée à  5 M€, en s'alliant à d’autres investisseurs, Philippe Corrot, cofondateur de l’entreprise d’e-commerce Mirakl, (leader mondial des plateformes de marché en ligne), Henri de Bodinat (Sciences Po 1971, HEC 1968) fondateur du mouvement politique Nous Citoyens, ancien président de CBS Records France et à la tête d’un fonds d’investissements spécialisé dans internet et Time Equity Partners)  et Joan Beaufort (entrepreneur alsacien dans le marketing digital et les jeux en ligne, fondateur de la Royale Investments, basé à Singapour). 

Aux yeux de la SRM cette offre ne satisfait pas aux critères annoncés par l'actionnaire le 12 juin.

 

> Le 12 juin, la rédaction estimait avoir obtenu des avancées qui justifiaient de poursuivre les négociations sur « les garanties d’indépendance »

Des garanties avaient été données pour rassurer une rédaction encore divisée.  L’ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, avait été pressenti pour présider le conseil d'administration. Son profil de gauche souverainiste semblait correspondre à la ligne éditoriale de Marianne.

Outre des investissements sur le digital et l’objectif d’équilibre financier, une charte éthique était prévue actant la non-intervention de l’actionnaire sur le contenu du journal. De même, pour la nomination du directeur de la rédaction, les journalistes pouvaient refuser jusqu’à trois fois une nomination par un vote de 60 % des inscrits. La moitié des sièges du conseil d’administration (4 sur 8) devaient être attribués à des représentants de la rédaction et les garanties d’indépendance inscrites dans les statuts de l’entreprise. 

Otium s’engageait à proposer à Natacha Polony de rester directrice de la rédaction.

 



Qui est Pierre-Edouard Stérin ? 


14 mai : CMI France, propriété du tchèque Daniel Kretinsky, est entré en négociations exclusives avec le groupe Otium de Pierre-Edouard Stérin (photo ci-contre) pour lui céder l’hebdo Marianne.

À 50 ans, Stérin se définit comme un « libertarien conservateur » et un catholique fervent, anti-IVG. Créateur de Smartbox (les coffrets cadeaux), il a bâti sa fortune (1,2 milliard d’euros) en délocalisant sa société en Irlande. 

Ses bénéfices vont dans le fonds Otium Capital grâce auquel il a investi en 2008 dans la plateforme de réservation The Fork (ex-La Fourchette) présente dans 11 pays. 

Exilé fiscal en Belgique depuis 2012, il s’est diversifié dans les médias après avoir investi dans l’hôtellerie, les loisirs, la santé. 

En février 2023, il a voulu s’associer à Kretinsky pour racheter EDITIS à Vivendi et en 2024, il a racheté le groupe de médias en ligne Marmeladz (Gentsu, Officielles, Art Room, Gossip Room, Don’t Stop Love) qui aide les créateurs de contenus à monétiser leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Pour ses 50 ans, il s’est engagé à investir 99 % de son patrimoine professionnel dans un fonds de dotation philanthropique. 


> Jean-François Kahn
, cofondateur de l’hebdo en 1997 avec Maurice Szafran, a exprimé son opposition à la cession du titre à P-E Stérin : 
«  Je ne peux cautionner le fait qu’il y ait un acheteur qui, dans tous les domaines, soit l’exact inverse de ce pour quoi nous avons créé le journal ». « Marianne ne peut devenir la propriété d’un personnage ultra-libéral en matière économique, qui n’est pas laïc, et qui n’est pas patriote, car toujours exilé fiscal en Belgique ».

Marianne est déficitaire depuis son rachat en 2018 par Kretinsky. Une nouvelle formule lancée en mars a permis de passer de 20.000 exemplaires vendus en kiosque à 28.000, en dépit d’une pagination réduite, le prix étant réduit de 4,40 € à 3,50 €. Mi-avril, la rédaction (55 journalistes) réaffirmait son attachement à l’identité du titre, la charte fondatrice de 1997 s’opposant au repli nationaliste, prônant le libéralisme, le pluralisme et l’universalisme.   

 

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