Chère Roselyne Bachelot,
Madame la ministre,
Roselyne Bachelot, ministre de la culture depuis le 6 juillet 2020 (capture d'écran RTL) |
Quand on est en charge de l'Etat et d'un ministère il faut tout connaître. C'est évident ».
Deux semaines après vos déclarations remarquées devant la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le coronavirus, c'est au ministère de la Culture qu'il vous faut maintenant être au courant de tout et tout connaître.
Ce nouveau portefeuille ne vous défrisera pas !
Vos précédents "maroquins" vous ont tanné le cuir dans les gouvernements Raffarin et Fillon - Ecologie et développement durable (2002-2004), Santé et sports (2007-2010), puis Solidarités et Cohésion sociale (2010-2012) -.
Mais en matière de presse, que savez-vous vraiment hormis vos talents de chroniqueuse depuis 2012 (Canal +, D8, RTL, France Musique), d'éditorialiste à Nice Matin, et de communicante pour votre agence Roselyne Bachelot Consultants (RBC) ?
Mise à genoux fin mai par le coronavirus, la profession lançait un appel aux mesures d'urgence, non sans susciter une réaction ferme du SNJ, le principal syndicat de journalistes, dénonçant "la danse du ventre" des éditeurs, et leur "casse sociale et éditoriale".
L'Etat répondait aussitôt en déliant les cordons de la bourse : chômage partiel des pigistes, renflouement de Presstalis avec 17 M€ de subvention supplémentaire, et un prêt de 35 M€ du Fonds de développement Economique et Social (FDES) qui s'ajoute aux deux précédents prêts à Presstalis pour 140 M€...
L'Etat contribue au plan de financement de la nouvelle structure France Messagerie (qui distribue les quotidiens nationaux) à hauteur de 80 M€ et le ministère de la Culture a également pris en charge les sommes dues aux marchands de presse pour 16,2M€. Quant au plan social de Presstalis, il devrait coûter 47 M€, payés par les éditeurs...
Des aides nouvelles ont été mises en place pour près de 27 M€ : 19 M€ aux diffuseurs spécialistes et indépendants, et 8 M€ aux éditeurs indépendants de titres d’information politique et générale.
Le 30 juin, l'Assemblée nationale votait un crédit d'impôt de 50 € maximum pour inciter à s'abonner à un titre de presse d'information politique et générale... Reste aux éditeurs, qui depuis des mois bradent leurs abonnements numériques, à mettre en musique cette mesure symbolique...
Pour consolider les trésoreries exsangues et contrer les vertigineuses chutes des ventes et de publicité, les PGE (Prêts garantis par l'Etat) aideront à réduire des pertes abyssales (36 M€ au Parisien, et au Monde).
Au delà des premières mesures d'urgence, la profession attend impatiemment le nouveau « plan global » initié par Bruno Le Maire et votre prédécesseur Franck Riester. Au programme : France Messagerie (ex-Presstalis), les fonds stratégiques, la restructuration des imprimeries, les nouveaux dispositifs fiscaux, les PGE, les droits voisins...
Voilà votre nouveau champ de bataille !
Changer de modèle économique
A l'horizon, un seul objectif désormais : changer de modèle économique.
Une perspective d'avenir où vous devrez vous inscrire pour laisser votre empreinte d'ici 2022.
Vos réunions d'état-major nécessiteront une relation suivie avec les instances professionnelles, comme l’Apig (Alliance de la presse d’information générale, forte de 305 journaux édités par 175 entreprises) où l'énarque Pierre Louette, PDG des Echos-Le Parisien-Aujourd'hui en France, vient de succéder au radical-cassoulet Jean-Michel Baylet, plusieurs fois ministre de Mitterrand et Hollande, PDG du groupe La Dépêche (6 quotidiens, 3 hebdos et le bi-hebdo national Midi Olympique, bible du rugby).
Déjà, le plan de filière de la presse IPG 2020-2024 a réalisé un diagnostic et élaboré des perspectives.
Plus que jamais l'écosystème de la presse est soumis à la règle "Schumpeterienne" de la destruction créatrice.
En 2010, le rapport Cardoso pointait la nécessaire réforme des multiples aides publiques en vigueur depuis 1796 mais, inertie oblige, ce n'est qu'en 2016 que sera instauré le Fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse.
En 2017, ces aides représentaient un total de 84.727.210 € pour l'ensemble des publications et sites d'information (voir le tableau complet des aides publiées en toute transparence sur le site du ministère).
Cette année encore, jusqu'à mi-juillet, votre ministère recueille les candidatures pour aider des programmes d'incubateurs pour médias émergents...
Inexorablement, le paysage poursuit sa métamorphose entre problèmes structurels, et concurrence effrénée des GAFA.
En pleine mutation numérique pour assurer son avenir, la presse écrite française est devenue pour une poignée d'investisseurs milliardaires un enjeu de développement de leur influence après avoir été "LE" 4e pouvoir, partagé avec le règne absolu du syndicat du Livre CGT...
Mais nous sommes loin des ordonnances d'août 1944, et de la "Déclaration des droits et des devoirs de la presse" adoptée fin 1945, affirmant que "la presse n'est pas un instrument d'objet commercial mais un instrument de culture"...
Des capitaux étrangers sont venus à la rescousse avec le tchèque Daniel Kretinsky (Le Monde, Marianne, ELLE et plusieurs magazines cédés par le groupe Lagardère), le belge Rossel (groupe La Voix du Nord), les américains Condé Nast (Vanity Fair, Vogue) et Kenneth Fisher (L'Opinion de Nicolas Beytout), l'allemand Prisma-Bertelsmann (Femme actuelle, Voici, GEO, Gala).
Sous perfusion permanente des multiples aides étatiques - en paradoxe total avec l'idéal d’indépendance éditoriale et financière - la crise de la presse écrite voit s'accélérer le rythme des rachats et des augmentations de capital.
Avec les restructurations-concentrations le pluralisme s'est fragilisé, la profession journalistique s'est précarisée, des pigistes non salariés acceptant le statut d'auto-entrepreneur, en violation de la loi Cressard...
La pandémie a ébranlé durablement les titres les plus fragiles, quand d'autres ont résisté développant les abonnements numériques (Le Monde ou le groupe Centre France) et la diversification évènementielle (L'Equipe, ASO Amaury, Le Télégramme)...
Ces derniers mois plusieurs groupes ont changé de mains : Paris-Turf, Nice Matin, France Antilles (merci Xavier Niel et sa holding NJJ Presse) et Paris Normandie (merci Rossel)...
Libération s'est doté d'une nouvelle structure pour éponger près de 50 M€ de pertes...
Des plans sociaux s'accumulent : Presstalis, l'hypocrite "plan de reconquête post-Covid" d'Altice et l'arrêt de RMC Sport News, la suppression de 30 postes au Parisien, la fin de l'édition "print" de Grazia (groupe Reworld Media, nouveau n°1 de la presse magazine)...
Avant même le coronavirus, des nuages obscurcissaient déjà le ciel : plus de 386 postes supprimés d'ici 2021 au groupe EBRA, 41 sur 157 à L'Humanité, 132 départs volontaires au groupe Sud-Ouest, près de 100 salariés de moins et une rotative à l'arrêt à La Nouvelle République du Centre-Ouest, disparition de L'Echo du Limousin et du Périgord liquidé fin 2019, lâché par ses actionnaires historiques.
Depuis dix ans, plus de 100 agences locales de presse quotidienne régionale et de presse hebdomadaire régionale ont dû disparaître, contribuant à la désertification des territoires...
En 2018, Louis Echelard, président de Sipa/Ouest France - banquier qui a fait toute sa carrière au Crédit Mutuel de Bretagne - ne cachait pas son pessimisme :
" Ouest France va perdre 80.000 exemplaires d'ici 2021 ". Son groupe, très diversifié, domine encore la presse régionale avec cinq quotidiens, 77 hebdos locaux, 15 gratuits et son site national Actu.fr...
Quels journalistes demain ?
Comment espérer des contenus de qualité dans de telles conditions dégradées ?
Les journalistes sont devenus "plurimédias". Polyvalents, ils maîtrisent l'écriture Web, jonglent sur les réseaux sociaux, savent poser leur voix devant un micro, lire un prompteur ou monter une vidéo ! Ils font la chasse aux "fake news", et utilisent les datas pour s'adapter à vos souhaits, à l'ombre des services marketing et promotion...
Davantage de CDD et de piges... Sur 34.890 cartes de presse (- 6,68 % depuis 2009), la précarisation s’amplifie avec 9181 personnes soit (26,31%). Plus d’un journaliste sur quatre, relève Jean-Marie Charon, sociologue des médias dans le baromètre social 2019 des Assises internationales du journalisme.
Demain, que feront les journalistes ?
Des robots sont déjà dans les rédactions pour des tâches basiques. Une réalité installée en Suède dans le groupe MittMedia, en Suisse chez Tamedia ou dans la presse américaine.