vendredi 1 avril 2022

GUERRE EN UKRAINE : SIX JOURNALISTES TUÉS

Le premier reporter étranger mort en Ukraine est l’Américain Brent Renaud, 50 ans, tué par balle le 13 mars, à Irpin. Un de ses confrères qui l’accompagnait, Juan Arredondo a été blessé. Ancien reporter du New York Times, devenu journaliste indépendant, il effectuait un reportage sur les réfugiés. Avec son frère, également journaliste, il avait couvert les guerres d’Irak et d’Afghanistan. 

Le 14 mars, Pierre Zakrzewski, 55 ans a été tué en étant la cible de tirs à Horenka, près de Kiev. 
Né d’une mère française et d’un père polonais, cameraman franco-irlandais de la chaîne américaine Fox News, il accompagnait le journaliste anglais Benjamin Hall blessé aux jambes par des éclats d’obus. Leur "fixeuse", journaliste ukrainienne qui travaillait pour Fox News, Oleksandra Kuvshinova, 24 ans, a aussi été tuée. 

Le 1er avril, après le retrait de troupes russes, le corps du photographe-documentariste ukrainien Maks Levin, 40 ans, a été retrouvé, trois semaines après qu'il n'ai plus donné signe de vie, près du village de Gouta Mejyguirska, à une dizaine de kilomètres au nord de Kiev. Il n'était pas armé et portait une veste signée "presse"

Le 2 avril, le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, 45 ans, a été tué par l'armée russe alors qu'il tentait de quitter Marioupol, où ilréalisait un documentaire. Fait prisonnier, il a été abattu d'une balle dans la tête et d'une autre dans la poitrine, a précisé Lyudmyla Denisov, défenseur des droits ukrainienne.

Depuis le 24 février, deux autres journalistes Ukrainiens ont perdu la vie : Viktor Doudar a été tué pendant des combats près de Mykolaïv. Evgueni Sakoun dans le bombardement de la tour de télévision à Kiev. Il travaillait sur une chaîne de télé ukrainienne et était correspondant de l'agence de presse espagnole EFE.

Selon les autorités ukrainiennes, plus de 30 blessés ont été dénombrés parmi les membres de la presse. 

> Russie : les sanctions tombent pour les journalistes qui osent encore informer sur la guerre en Ukraine (Reporters sans Frontières 15/4/2022)

LE JOURNALISTE RUSSE IVAN SAFRONOV JUGÉ POUR HAUTE TRAHISON

Accusé de « trahison d’État » au profit d’une puissance étrangère et incarcéré, le journaliste Ivan Safronov, 31 ans, est jugé depuis lundi 4 avril, à huis clos, par un tribunal de Moscou. Considéré comme l’un des meilleurs journalistes de Russie concernant les questions militaires, il avait été arrêté en juillet 2020.

Selon les services russes de sécurité (FSB), il est soupçonné d’avoir « transmis des secrets d’État sur la coopération militaire et technique, la défense et la sécurité de la Russie à un service de renseignement d’un pays de l’OTAN ». Le Kremlin avait pour sa part assuré que son arrestation n’avait «rien à voir avec son activité journalistique».

NOVAÏA GAZETA SUSPEND SA PUBLICATION 


28 mars 2022 : Novaïa Gazeta
, dernier journal indépendant de Russie, dirigé par Dmitri Mouratov, prix Nobel de la Paix 2021, annonce qu’il reprendra ses publications « à la fin de l’opération militaire spéciale en Ukraine ». Depuis le début du conflit, le trihebdomadaire, était conçu « dans le respect des règles du nouveau code pénal », en ligne et sur papier. Une « Une » récente montrait le quadrille du Lac des cygnes de Tchaïkovski, sur fond d’embrasement. Une image qui renvoie à la télévision de l’époque soviétique qui diffusait des ballets quand elle ne pouvait pas traiter l’actualité… La décision prise fait suite à un second avertissement en moins d’une semaine pour manquement à la loi sur les « agents de l’étranger ». Citée, une ONG n’avait pas été mentionnée avec ce statut. Novaïa Gazeta était le journal d’Anna Politkovskaïa, journaliste assassinée en 2006.

JOURNALISTE UKRAINIENNE LIBÉRÉE 

22 mars 2022 : la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna capturée le 15 mars par l’armée russe à Berdyansk, dans le sud-est de l’Ukraine, a été libérée au bout de sept jours. Elle n’avait plus donné de nouvelles depuis le 12 mars à son employeur, le site Hromadske. Son dernier reportage avait été publié le 11 mars, depuis Energodar, ville occupée. RSF a déposé deux plaintes devant la Cour Pénale internationale pour dénoncer des attaques délibérées contre des journalistes en mentionnant le cas de Victoria Roshchyna « qui effectuait un reportage depuis la région de Zaporizhzhia lorsque des soldats russes ont tiré sur sa voiture, qui portait clairement l’inscription « Presse », puis l’ont volée ». 

Sur sa page Facebook, la journaliste a publié le 8 mars le récit de l’agression et du vol dont elle a été victime. « Ils ont pris mon ordinateur portable, mon appareil photo, mon sac à dos ». RSF précise que le 8 mars à Berdiansk quelque 50 journalistes ont été pris en otage « pendant plus de 5 heures et soumis à des violences physiques pour avoir refusé de diffuser la propagande du Kremlin ». 

Le journaliste Oleg Batourine, enlevé le 12 mars à la gare routière de Kakhovka par l’armée russe, a été relâché après presque huit jours de captivité. Battu, menacé, humilié, il n’a pratiquement pas mangé ni pu se laver. Le 21 mars, trois israéliens de la même famille dont l’éditeur de journaux Mykhaïlo Kumok, ont été libérés au bout de quelques heures, après avoir été arrêtés à Melitopol, au sud-est de l’Ukraine. L’un d’eux avait partagé des images et des vidéos de la guerre sur des plateformes de réseaux sociaux. 

> Lire le témoignage d’un fixeur ukrainien de Radio France enlevé et torturé par l’armée russe. Ce juriste, âgé de 32 ans, arrêté le 5 mars est resté détenu neuf jours. 


LA RÉSISTANCE DE MARINA OVSYANNIKOVA

 

14 mars 2022 : Marina Ovsyannikova, sur la première chaîne russe Pervi Kanal, s’est placée derrière la présentatrice du programme Vremia (Le Temps) à une heure de grande écoute en brandissant une pancarte « Non à la guerre ». Arrêtée aussitôt, elle a été conduite au siège de la police du district d'Ostankino, le quartier des médias moscovites. Libérée après plus de 14 h d’interrogatoire, un tribunal lui a infligé une simple amende de 30.000 roubles (250 €) pour « infraction administrative ». Elle risque encore des poursuites au pénal passibles de lourdes peines de prison (15 ans au regard de la nouvelle loi pénale). Dans une vidéo postée peu avant son coup d’éclat, elle expliquait que son père est ukrainien et sa mère russe. Elle demande pardon d’avoir participé à la propagande de Poutine et appelle à la mobilisation contre la guerre. 

Née à Odessa, sortie en 2005 de l’académie russe de la fonction publique et de l’économie, cette ancienne championne de natation de 43 ans a deux enfants de 11 et 17 ans. Cachée par des amis, elle a donné une interview au magazine allemand Der Spiegel, où elle indique ne pas vouloir quitter son pays, déclinant l’offre d’asile proposée par la France. L’article est titré : « Maintenant, je suis l’ennemie n°1 » 

ELENA VOLOCHINE : UNE DICTATURE DE GUERRE 

8 mars 2022 : Elena Volochine, journaliste franco-russe correspondante depuis une dizaine d’années de France 24, a décidé de rentrer à Paris. « Pour la première fois j’ai senti que je n’allais plus pouvoir faire mon travail. Et qu’il était temps de partir », a-t-elle précisé. « Des règles du jeu étaient établies depuis que je travaille. Mais ces règles ont changé basculant vers une dictature de guerre ». En 2019, elle a réalisé le documentaire « Le choix d’Oleg », consacré aux soldats de la guerre du Donbass en 2014, avec James Keogh, photo-reporter de guerre franco-irlandais. 

3 mars 2022 : Zhanna Agalakova, journaliste russe, correspondante à Paris, a démissionné de la première chaîne russe en réaction à l’offensive en Ukraine. Avec RSF elle a décidé de briser le silence et de raconter son expérience vécue dans l'un des médias de propagande du Kremlin.  « Je n’ai jamais menti, je me suis beaucoup tu. J’ai beaucoup hésité avant de vous parler. Tout le monde m’a dit que j’étais folle. Je le fais pour les Russes. » « Je veux que la Russie m’entende, que les gens apprennent à distinguer la propagande (…), arrêtent d’être zombifiés », s’est justifiée Zhanna Agalakova lors d’une conférence de presse. 

REPORTERS SANS FRONTIÈRES 

Dès le début du conflit, RSF a ouvert à Lviv, près de la frontière polonaise, un centre pour la liberté de la presse en Ukraine. Il permet aux équipes de travailler (connexions internet et interventions en direct), de leur fournir du matériel de protection (casques et gilets par-balles) et une assistance financière et psychologique. Contre la censure en Russie des sites d’information indépendants, RSF a débloqué Meduza.io, le média russe le plus populaire du pays (qui revendique plus de 13 millions de visiteurs uniques par mois). Une action engagée dans le cadre de l’ opération Collateral Freedom, avec le soutien technique de hackers, informaticiens et ingénieurs dans plusieurs pays d’Europe. RSF rappelle que la Russie occupe la 150e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse 2021. 

EN RETRAIT DE RUSSIA TODAY

En raison de la guerre en Ukraine, des chroniqueurs français ont décidé de se mettre en retrait de la chaîne Russia Today (RT) qui émet en France depuis 2017. Frédérique Taddeï animait depuis 2018 le talk-show « Interdit d’interdire » : « La situation internationale étant ce qu’elle est, j’ai décidé ce matin d’arrêter d’animer Interdit d’Interdire. Par loyauté envers la France, je ne peux pas continuer une émission de débat contradictoire à partir du moment où mon pays se retrouve en conflit ouvert avec la Russie » a annoncé le 24 février le journaliste, ex-présentateur de «D’art d’art». Il ajoute qu’il ne quitte pas RT France pour le moment. « Xenia Fedorova, la présidente de la chaîne, m’a demandé de ne pas prendre de décision trop hâtive », explique-t-il. Né en 1961, animateur de débats culturels sur France 3 puis France 2 dans « Ce soir ou jamais » de 2006 à 2016, il a présenté de 2018 à 2020 une émission d’entretiens sur Europe 1 et a succédé à Patrick Cohen dans « C’est arrivé cette semaine » et « C’est arrivé demain ». 

Stéphanie de Muru, visage de RT depuis 5 ans, a annoncé le 1er mars sa décision de quitter le média russe. La journaliste a déclaré que « l’intervention militaire russe était pour moi la ligne rouge ». Entre 2005 et 2017, elle exerçait sur BFM TV

Alain Juillet, haut fonctionnaire qui a exercé à la DGSE, avait rejoint RT en février 2020 où il animait deux fois par mois la chronique géopolitique « La source ». Il a cessé sa collaboration le 11 janvier 2022. 

RT ET SPUTNIK BLOQUÉS 

Considérés comme des instruments de « désinformation », les médias russes RT et Sputnik ont été bloqués par les états de l’Union Européenne à compter du mercredi 2 mars à 16 h. RT continue destination des francophones hors UE, notamment en Afrique. Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, ont également été bloqués. En France, seul pays à héberger une filiale de RT sur son sol, la mention « média affilié à un État Russie » a été apposée sur les comptes de journalistes de RT France. 

Dans un communiqué, le SNJ de RT France, a dénoncé « une chasse aux sorcières » et a fait état de « menaces physiques reçues par plusieurs membres de la rédaction ». Xenia Fedorova, directrice de l’information de RT France estime que la mesure qui frappe le média constitue « une forme de censure » ainsi qu’un « précédent dangereux pour la liberté d’expression ». 

MÉDIAS CENSURÉS PAR LA RUSSIE 

Depuis le début du conflit, les autorités russes interdisent aux médias d’utiliser les mots « guerre » et « invasion », et d’utiliser des informations autres que les déclarations officielles. De nombreux médias internationaux ont décidé de suspendre leur mission en Russie compte tenu de la censure et des mesures de répression : la BBC, les chaînes publiques allemandes et italiennes ARD, ZDF et la RAI. Dès le 24 février, Roskomnadzor, l’organisme russe de surveillance des médias a bloqué le site de Nastoyashchee Vremya (Temps présents), une filiale de Radio Free Europe / Radio Liberty. L’animateur de télévision Ivan Ourgant a été écarté et la journaliste Elena Tchernenko exclue d’un groupe de journalistes accrédités par le gouvernement parce qu’elle a rédigé une lettre anti-guerre. Plusieurs médias ont été censurés : les éditions russophones de la BBC, la télévision Deutsche Welle, les sites indépendants Meduza et radio Svoboda

En Russie, la station Ekho Moskvy (Écho de Moscou) a été contrainte le 3 mars de se saborder et la chaîne indépendante Dojd suspend son activité. 

Le site Mediazona, une des dernières voix indépendantes en Russie, a été bloqué en raison de sa couverture de l’invasion en Ukraine, tout comme le site d’investigation Bellingcat connu pour ses enquêtes sur la guerre du Donbass ou l’empoisonnement d’opposants. 

Depuis le 21 mars, le site d’Euronews, la télévision paneuropéenne, et sa version russe ru.euronews.com sont bloqués. 

« FAUSSES INFORMATIONS » : JUSQU’À 15 ANS DE PRISON 

4 mars : en réplique au blocage des médias russes RT et Sputnik dans l’UE, le Parlement russe a adopté à l’unanimité une loi punissant jusqu’à 15 ans de prison les auteurs de « fausses informations sur l’armée ». Un amendement séparé prévoit par ailleurs des sanctions pour les « appels à imposer des sanctions à la Russie », confrontée aux mesures de rétorsion occidentales. Ces textes s'appliquent à la population sur les réseaux sociaux ou dans la rue, et non aux seuls professionnels de l'information. Tout un arsenal d'amendes, de travaux forcés et d'emprisonnement a été mis en place. 

CARTES DE PRESSE REFUSÉES 

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnelles a décidé que les demandes de cartes de presse déposées à partir du 2 mars au titre de RT France seront rejetées. RT France compte une centaine de cartes de presse. 

Lire également : Raconter la guerre, documenter les crimes par Hervé Brusini, président du Prix Albert Londres, ancien rédacteur-en-chef de France Télévisions 

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