mardi 28 novembre 2023

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

JEAN-MARIE CHARON : L’IA EST DÉJÀ LÀ !


5 juin : sur le site participatif de L’observatoire des médias animé par Gilles Bruno, le sociologue Jean-Marie Charon revient sur l’émergence de l’Intelligence artificielle dans les médias. L’IA est d’ores et déjà bien présente depuis qu’en 2015, le quotidien Le Monde a fait appel à la start-up Syllabs pour donner et commenter les résultats des élections départementales. 

Pour la première fois, les correspondants étaient remplacés par un logiciel robot. Ces derniers mois, à L’Est Républicain (groupe EBRA) l’IA est expérimentée pour corriger et enrichir la copie des correspondants locaux.

« L’IA est bien là, avec des effets très palpables » sur l’activité, l’info produite et sans doute sur l’emploi des jeunes journalistes, estime le sociologue des médias, qui en profite pour revenir sur son thème favori de la précarité, rappelant que 64,2 % des 30 ans et moins sont en pige ou en CDD. Or, avec l’IA, « deux ilots de CDIsation rapide émergent, ceux de la data et celui de la vidéo verticale ». Loin d’être euphorique, il interroge l’impact de l’IA sur l’organisation du travail, l’influence des datas relatives aux audiences quand les jeunes journalistes « évoquent des conférences de rédaction où dominent les chiffres de performance, comme principal critère d’évaluation d’un article, d’un sujet, d’un angle. ‘’ Les algorithmes sont devenus nos véritables rédacteurs en chef ’’ pourrait-on dire, en paraphrasant plusieurs d’entre eux. »



APPLE, L’ART D’ARRIVER LE DERNIER


Dans L’Express (12.6), Maxime Recoquillé, journaliste Eco-Tech, revient sur l’annonce par Apple de l'intégration de l'IA dans ses systèmes d’exploitation via un partenariat avec OpenAI. 

« Ce retard lui a coûté quelques talents, partis voguer ailleurs, et une certaine prime à la nouveauté. Des rivaux comme Samsung ou Google ont lancé avant lui des smartphones IA aux perspectives alléchantes dans un marché ronronnant. La position en bourse d’Apple en a été affectée. Microsoft puis Nvidia l'ont dépassé en termes de valorisation, en tête du classement mondial. Malgré les défis, Apple pourrait toutefois bénéficier de son entrée tardive dans l’IA (…) L’entreprise privilégie auprès de ses centaines de millions d’utilisateurs la sécurité des données, la performance grâce à ses puces maison et la qualité d’expérience ».       



LES ÉDITEURS DE PRESSE VEULENT ENGAGER DES NÉGOCIATIONS


L’Apig (Alliance de la presse d'information générale) et le SEPM (Syndicat des éditeurs de la presse magazine) ont appelé les entreprises d'intelligence artificielle à ouvrir des négociations pour le paiement des contenus des 800 titres qu'ils représentent. 

Ces organisations représentatives des éditeurs de presse défendent la propriété intellectuelle et déplorent que leurs publications soient utilisées sans autorisation ni contrepartie. Un courrier a été adressé aux acteurs majeurs de l'IA générative pour l’ouverture de négociations afin d’instaurer un  cadre contractuel, les conditions techniques et financières permettant de garantir un accès simple, transparent et autorisé des services d'IA générative aux publications de presse.

Les Américains OpenAI (créateur de ChatGPT), Google et Microsoft, sont destinataires ainsi que le Chinois ByteDance (TikTok) et le Français Mistral.

Le Monde a conclu en mars dernier un accord avec OpenAI alors  que le New York Times et le Chicago Tribune ont préféré engager des actions en justice pour violation des droits d’auteur. 


JOURNALISME DE SERVICE AVEC L’IA AU WASHINGTON POST


En proie aux difficultés économiques, Le Washington Post lance une division de « journalisme de service » avec l’IA. Cette rédaction distincte de la rédaction historique sera consacrée au journalisme de service et au journalisme sur les réseaux sociaux. Elle sera dirigée par Matt Murray, ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal et ex-PDG de Dow Jones.

Cette annonce intervient dans le journal, propriété de Jeff Bezos, après la démission de la

rédactrice en chef Sally Buzbee. Journaliste de l'agence Associated Press, elle était devenue en 2021 la première femme à occuper ce poste. Jusqu'à l'élection présidentielle de novembre, le PDG Will Lewis lui succède après avoir renoncé à recruter le britannique Robert Winnett. 

Le quotidien a enregistré en 2023 quelque 77 millions de dollars de pertes entrainant l’ouverture d’un plan de départs volontaires de plusieurs centaines de salariés.


> Des gains de productivité largement surestimés : alors que les économistes de Goldman Sachs estiment que le développement de l’IA générative pourrait faire grimper la productivité du travail de l'ordre de 15 % dans les dix prochaines années aux Etats-Unis, les consultants de McKinsey, eux, considèrent que l'IA pourrait faire croître le PIB des pays développés de 1,5 % à 3,4 % par an. Daron Acemoglu, professeur d'économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, ne fait pas partie de ces optimistes. Il montre que moins de 5 % des tâches des travailleurs américains seront impactées par l'IA. L'économiste turco-américain arrive à la conclusion que la hausse de la productivité induite par l'IA serait de seulement 0,07 % par an sur les dix prochaines années. 


ACCORD HISTORIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE


8 décembre : à l’issue de 37 h de négociations, les États membres de l’UE et le Parlement européen ont trouvé un accord sur un texte qui favorise à la fois l’innovation et règlemente le développement et l’usage de l’intelligence artificielle. « Une avancée historique ! » s’est félicité le commissaire européen Thierry Breton, estimant que le texte « fruit d’un grand consensus permettra de s’adapter en fonction des évolutions technologiques ».

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE devront adopter définitivement l’IA Act après avoir intégré les critiques des chercheurs qui craignent que des règles trop strictes empêchent les startups européennes de rivaliser avec OpenAI ou Google.

La mise en oeuvre du texte final n’est pas prévue avant 2025. 

Concernant les IA génératives, la nouvelle législation imposera de s’assurer de la qualité des données utilisées pour la mise au point des algorithmes et pour vérifier qu’ils ne violent pas la législation sur les droits d’auteur.

Les règles seront renforcées pour les IA à « haut risque » utilisées dans l’éducation, les ressources humaines, le maintien de l’ordre. L’IA sera prohibée pour des applications contraires aux valeurs européennes comme l’identification biométrique à distance, sauf dans le cas de la lutte anti-terroriste.

La législation obligera les systèmes d’IA à informer l’utilisateur qu’il est en relation avec une machine.

Un office européen de l’IA sera doté de moyens de surveillance et de sanctions permettant d’infliger des amendes jusqu’à 7 % du chiffre d’affaires. 

L’Union européenne devient ainsi le premier continent à fixer des règles claires élaborées dès 2021. L’apparition de ChatGPT ou Midjourney pour les images a révélé le potentiel immense de l’IA mais aussi les risques liés, par exemple, à la diffusion de fausses photographies sur les réseaux sociaux, favorisant la manipulation de l’opinion.


> Le Figaro s’est doté d’une charte sur l’usage de l’IA générative. Fruit des débats d’un groupe de travail issu des différentes rédactions (quotidien, Figaro magazine, Madame Figaro, lefigaro.fr) et des différents métiers (rédaction, édition, iconographie), cette charte « met en place des garde-fous très forts », indique Alexis Brézet, directeur des rédactions. Elle stipule ainsi que « le Figaro n’entend publier aucun article élaboré par l’intelligence artificielle générative », un principe qui s’applique également aux « photographies, illustrations, dessins et vidéos générées par l’IA ». 


OPEN AI LANCE GPT-4o 


13 mai : OpenAI, l’éditeur de ChatGPT a présenté son nouveau modèle d’intelligence artificielle générative GPT-4o (o pour Omni) qui intègre à la fois l’audio, l’image et le texte, en production et en compréhension. Ces nouvelles capacités seront progressivement ajoutées à ChatGPT.  Parmi les nouvelles performances : des réponses ultra-rapides, un commentaire de flux vidéo en temps réel, l’utilisation pour traduire. Les abonnés ChatGPT Plus sont les premiers servis. Le site Numerama estime que le GPT-5, appelé GPT Next, ne tardera plus à être annoncé.



> Google dévoile son plan


14 mai : à la conférence des développeurs I/O, Google annonce que Gemini, - l’équivalent de ChatGPT - va enfin apparaître dans le moteur de recherche aux Etats-Unis, quinze longs mois après que Microsoft ait intégré son assistant Copilot à son propre moteur de recherche, Bing. En France, l’abonnement à Google One AI Premium sera facturé 21,99 € par mois. Gemini Live, concurrent direct de ChatGPT Voice, sera lancé prochainement.


> 12 groupes de presse engagés dans Spinoza


Ce prototype d’IA, développé par Reporters sans frontières, engage 12 groupes français membres de l’Apig (Alliance de la presse d'information générale). L’outil est conçu « pour et par les journalistes », et se veut respectueuse de la propriété intellectuelle des médias. Il est notamment expérimenté par EBRA, La Nouvelle République du Centre-Ouest, Publihebdos, Libération, L’Équipe. 

Réalisé avec Ekimetrics (leader européen en data science) le prototype utilise le modèle de langage GPT 3.5 d’OpenAI et traite d’informations liées au changement climatique. Les retours des journalistes utilisateurs seront pris en compte pour enrichir le prototype de nouvelles fonctionnalités dans les prochains mois. Il est testé par des journalistes de près de 300 médias membres de l’Alliance, désireux de s’engager dans ce projet.


> Faut-il craindre les réponses de l’IA de Google ?


Avec AI Overviews, présenté le 14 mai, Google menace de remettre en cause le modèle économique des médias, déjà fragilisés. Les traditionnels liens vers des pages internet n'ont pas disparu, mais ils sont relégués sous le texte proposé par l'IA générative. « Cela va avoir un impact négatif sur les marques et les sites qui produisent du contenu et qui dépendent du trafic venu des moteurs de recherche », estime Paul Roetzer, du Marketing AI Institute. Le site Stratégies rapporte que le cabinet Gartner prédit la contraction de 25 % du volume généré par les moteurs de recherche traditionnel d'ici 2026 avec l'émergence des applications d'IA générative.


> Microsoft investit plus de 2 milliards en Alsace


13 mai : à l'occasion du sommet Choose France à Versailles, Microsoft a annoncé investir 4 milliards d’euros dans ses infrastructures en France, dont plus de 2 milliards dans un des plus gros datacenters du pays implanté à Petit-Landau, près de Mulhouse (Haut-Rhin). Le chantier durera quatre ans et va créer environ 1000 emplois indirects liés à la construction. La structure devrait employer quotidiennement plusieurs centaines de salariés. Les investisseurs ont été séduits par la position géographique de la commune, située à la frontière avec l’Allemagne.

Microsoft va également lancer le programme Microsoft GenAI Studio, qui doit engager 2500 startups d’ici à 2027 pour accélérer le développement de l’IA. À cet effet, le géant américain fait appel au plus grand incubateur du territoire fondé par Xavier Niel : Station F.


> L’IA dans les médias : un dossier thématique avec la BnF


2 mai : le portail Presse et Médias de la Bibliothèque Nationale de France (BnF) propose un nouveau dossier thématique consacré à l’intelligence artificielle.

On y trouve une sélection d’articles de presse, de podcasts et d'émissions de radio accessibles sur internet ; le point sur les expérimentations ; les conséquences pour le monde des médias ; le rôle de l’IA sur la désinformation ; la défense des droits des journalistes et comment les médias s’organisent. Les principales questions sont posées : est-ce la fin du journalisme ou au contraire, est-ce l'occasion pour les journalistes de se recentrer sur leur rôle de collecte, de vérification et de hiérarchisation de l'information ? 



NIEL ET SAADÉ FINANCENT LA RECHERCHE 


17 novembre : Xavier Niel (Iliad-Free) et Rodolphe Saadé (CMA-CGM) ont annoncé la création de KYUTAI (sphère en japonais), le plus gros laboratoire français de recherche privé en intelligence artificielle.

(photo ci-contre de g. à d. Schmidt, Saadé et Niel) 


Objectif : dynamiser l’IA en France.

Leur alliance est inattendue car Niel et Saadé, tous deux industriels et patrons de presse, s’étaient âprement affrontés en 2022 pour la reprise du journal La Provence.

Depuis, ils ont enterré la hache de guerre autour de ce projet d’avenir qui bénéficie d’avantages fiscaux non négligeables liés à

l’investissement dans les jeunes entreprises innovantes.     

Associés à Eric Schmidt (PDG de Google de 2001 à 2011), sous la forme d’une fondation à but non lucratif, la nouvelle structure démarre avec six chercheurs de renommée mondiale. Leur résultats seront accessibles en « open science », libres et gratuits, à l’instar d’OpenAI à ses débuts (aujourd’hui valorisée à 29 Md$). Ils apportent leur puissance financière (100 M€ chacun, 100 M€ réunis par Schmidt avec d’autres investisseurs) et espèrent bien attirer d’autres investisseurs.

« Il y a beaucoup d’idées en France et peu de financement (…) J’aimerais bien qu’un jour on parle de l’impérialisme français dans l’IA. Si on ne fait rien, il ne se passera rien » a déclaré Xavier Niel lors du lancement de KYUTAI à Station F à Paris, la pépinière de startups qu’il a ouvert en 2017. 

Le comité scientifique du nouveau géant en IA est dirigé par Yann LeCun (prix Turing 2018). Scaleway, filiale d’Iliad, fournit le super calculateur NVIDIA indispensable à la création des modèles d’intelligences artificielles traitant à la fois texte, voix et l’image.

 


> OpenAI annonce le retour de Sam Altman

Débarqué le 17 novembre de ses fonctions de PDG par le conseil d’administration, Sam Altman, 38 ans, annonçait le 19 qu’il rejoignait Microsoft avec une bonne partie de son équipe. Cinq jours après son limogeage, il confirme son retour chez OpenAI comme PDG avec un nouveau conseil d’administration  : « J’ai hâte de revenir pour bâtir un solide partenariat avec Microsoft » ! 


> Projet Spinoza : le SNJ demande un moratoire

Le 20 novembre, le Syndicat National des Journalistes a demandé un moratoire immédiat et l’ouverture de négociations « avant tout déploiement anarchique de ces outils sur l’intelligence artificielle » développés par Reporters sans frontières (RSF) et l'Alliance de la presse d'information générale sous le nom de projet Spinoza. La phase initiale du projet consiste à réaliser un prototype d’outil d’IA avec la société Ekimetrics d’ici fin 2023, dans le respect de la propriété intellectuelle des médias. Il traitera d’informations liées au changement climatique. Ce projet se veut une réponse aux risques de l’IA générative qui souvent ne respecte ni la propriété intellectuelle ni la transparence sur l’entraînement des modèles ou leur fonctionnement.


L’IA ET LE JOURNALISME : UNE CHARTE AVEC RSF


10 novembre : Reporters sans frontières (RSF) et 16 organisations partenaires ont publié la Charte de Paris sur l’intelligence artificielle et le journalisme.

Dix principes ont été retenus :

  • L’éthique doit gouverner les choix technologiques au sein des médias
  • Le jugement humain doit rester central dans les décisions éditoriales
  • Les médias doivent aider la société à discerner avec confiance les contenus authentiques et synthétiques
  • Les médias doivent prendre part à la gouvernance mondiale de l’IA et défendre la viabilité du journalisme lorsqu’ils négocient avec les entreprises technologiques
  • Les médias sont responsables de chaque contenu qu’ils publient

Lancés en juillet, les travaux pour établir ces principes ont été menés par une commission réunie par RSF, présidée par Maria Ressa, lauréate du prix Nobel de la paix 2021.


 

Presse & Médias : La puissance des groupes de presse

P rincipal reproche fait aux grands groupes : la concentration des médias entre les mains de quelques uns. Des empires industriels qui n’ont...